Pierre de Bethmann (piano), Sylvani Romano (contrebasse), Tony Rabeson (batterie)
Pompignan, 30-31mars 2015
Aléa 007 / Socadisc
Le jazzman « pur jus » a coutume de faire des standards de tout un chacun SES standards, en y inscrivant sa marque. Pierre de Bethmann fait mieux que cela, il désigne comme tels des thèmes qui n'avaient pas forcément été classés de la sorte, et par ce geste d'appropriation (ou de reconnaissance mutuelle entre le thème et le musicien) nous ouvre de nouveaux horizons, inespérés. Voici près de trois ans le pianiste, qui s'était orienté vers des formations plus étoffées, se voit proposer un concert en trio. C'est une formule qu'il connaît, et qu'il a longtemps pratiquée avec « Prysm ». Il profite de l'occasion pour convier des musiciens que, de son propre aveu « il admire depuis de nombreuses années ». Ainsi naît, à la faveur d'une proposition très ponctuelle, un trio régulier. Il faut dire que l'un comme l'autre (Sylvain Romano et Tony Rabeson) sont des orfèvres dans l'art de la réactivité, de l'échange, et de l'engagement inconditionnel au service d'une musique. C'est ainsi que, d'un thème signé Herbie Hancock (Promise of the Sun, album « The Prisoner », 1969) jusqu'au Pull Marine de Gainsbourg/Adjani, en passant par le Chant des Marais (hymne européen de la déportation) ou la Sicilienne de Fauré, Pierre de Bethmann fait siennes toutes les mélodies qui lui parlent, et auxquelles il fait dire bien d'autres choses encore. Ainsi Indifférence, valse-jazz de Tony Murena, glisse du vertige nostalgique vers un phrasé cursif de jazz moderne, sans perdre une once de son charme. Et la pulsation riche, autonome et stimulante du tandem basse-batterie lui donne une nouvelle jeunesse. La Mer de Trenet voit ses intervalles modifiés, sa trame harmonique enrichie avec audace, et pourtant la magie originelle demeure. On dira que c'est le propre des vrais jazzmen que de faire d'aussi fécondes transformations, et l'on aura raison. Cela se confirme avec les plages qui accueillent des standards avérés (Beautiful Love, For Heaven's Sake, Without a Song) : la liberté d'interprétation et de personnalisation va encore prévaloir, en parfaite osmose entre les trois compères, pour donner un disque de trio très intense, et totalement réussi. Le jazz en quelque sorte, dans sa vérité première !
Xavier Prévost
Le trio jouera les 24 & 25 novembre à Paris au Sunside