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13 mai 2016 5 13 /05 /mai /2016 06:32
« A Moon Shaped Pool, » Radiohead, une chronique de Sebastien Paindestre

Le pianiste Sebastien Paindestre, grand amoureux du groupe d'Abingdon et dont le travail tourne autour de l'exploration des thèmes du groupe anglais s'est prêté à l'exercice de la chronique de leur dernier album " A moon shaped pool".

Voilà ce qu'il nous en dit.

« A Moon Shaped Pool, » Radiohead.


Cela faisait maintenant cinq ans que la communauté des fans attendait le nouvel album de Radiohead.
Pourquoi cet engouement qui ne faillit pas depuis tant d’années ? Pour preuve : ces places du concert du 1er juin aux Nuits de Fourvière parties en quelques minutes à peine ?
Radiohead, depuis « OK Computer », nous a habitués à être surpris, nous emmenant à chaque fois là où on ne les attendait pas : la rupture s'est faite en 2000 avec « Kid A » qui a définitivement posé le son Radiohead, avec Nigel Godrich comme producteur, le 6ème membre de Radiohead à l’instar d’un George Martin (mort en mars dernier) qui fut “le cinquième Beatle".
Le groupe s'amuse ainsi à faire des allers-retours entre des albums pop (« In Rainbows") ou plus expérimentaux (« The King of limbs »). D’où le paradoxe : tout le monde connait Radiohead, son nom et un ou deux titres, mais beaucoup ne connaissent pas vraiment leur œuvre…
Qui pourtant est immense.
Marc Ribot confiait à un des membres de Radiohead que leur musique lui avait permis de retrouver des émotions musicales perdues, je me retrouve pour ma part totalement dans ce témoignage.

« A moon shaped pool », la lune en forme de piscine ?

Est-ce encore une fois de la part de Thom Yorke et sa bande une phrase énigmatique pour nous faire réfléchir sur la marche du monde ? Sans doute, car si chaque morceau de cet album nous amène à y réfléchir comme dans toute la démarche poétique ouverte à l'interprétation de chacun, le neuvième album de Radiohead est sans doute l'un des plus poignants et profonds du groupe.
Les morceaux s'enchaînent avec une fluidité étonnante par ordre alphabétique, c'est presque cabalistique et cela n'aurait pas déplu à un Jean-Sébastien Bach, adepte du "hasard calculé".


B comme Burn the witch. Le décor est planté, la sorcière vit dans la forêt de bois et de cordes, préfigurant sans doute l'accompagnement d'un mini-orchestre de chambre dans les prochaines dates de leur tournée d’été. L'influence de Jonny Greenwood, qui depuis des années compose et travaille notamment avec le BBC Concert Orchestra, est bien présente. Le titre ferait référence à la stigmatisation récentes des réfugiés. Le morceau à la première écoute est très dense, et sa mélodie construite comme un message en morse finit par marquer les esprits après plusieurs passages.

D comme Day dreaming, le morceau selon moi le plus mélancolique de l'album avec cette voix étrange inversée qui voudrait dire "half of my life" (cinq quadragénaires dans le groupe).(voir la vidéo)


D comme Decks dark où l'apport de chœurs confère une ambiance grandiose au début du morceau. De facture plutôt classique “radioheadienne", seule l'entrée de la basse du tôlier Colin Greenwood nous donne l'enthousiasme pour rester connectés à cette douceur noire..."sweet dark" est répété à la fin du titre, comme pour rappeler que l'on doit malgré tout faire la fête et danser sur les cendres du monde.

D comme Desert island disk, chanson à la Mc Cartney dans son introduction très Blackbird qui évolue dans des tensions harmoniques toujours très présentes chez Radiohead sans perdre ce paradoxe de l'ombre à la lumière qui semble être une marque de fabrique.

F comme Ful stop : toute une histoire sur ce « L » manquant à cause d'une setlist retrouvée par un employé d'une salle de concert en concert en 2012 et qui était destiné sans doute au LP8. Un morceau très “ambiant", qui laisse la part belle aux guitares jouées comme des boucles de musique répétitive.

G comme Glass eyes : le génie de Radiohead se trouve dans ce titre de 2 mn 52, la voix si tendre de Thom Yorke, les cordes si sensibles et fragiles comme le fil de la vie, le piano transformé en matière des objets sonores à la Pierre Schaeffer, une mélodie qui rend la musique si évidente et vitale que le besoin de respirer… Un chef-d'œuvre, à écouter jusqu'aux larmes.

I comme Identikit, chanson jouée en Live en 2012 et qui laisse un peu s'exprimer le discret Ed O’brien. Une chanson construite en deux parties ponctuées par un synthétiseur qui rappelle l'aventure Atom for Peace de Thom Yorke et les racines du Rock de Radiohead.

T comme The numbers : les quatre accords qui forment cette chanson sont proches dans l'enchaînement et la tonalité du Mother's nature son de l'album blanc des Beatles, un groove obsédant et pointilliste qui semble devenir la première chanson contestataire assumée du groupe. Thom Yorke le premier a toujours dit que s'il écrivait une chanson sur le réchauffement climatique cela serait "de la merde", il a bien fait de changer d'avis ! La basse de Colin semble elle tout droit sortie de l'album d'Abbey road.
Deuxième chef-d'œuvre de l'album !

P comme Present tense : comme jamais deux sans trois, voici selon moi, le troisième chef-d'œuvre de l'album. Bojan Z ne m'en voudra pas je pense de raconter cette petite anecdote : alors qu'il faisait le son sur la scène du Festiva'son et qu'on échangeait sur Radiohead, il se mit à fredonner et jouer The present tense que Thom Yorke jouait en solo à la guitare avec Atom for peace. Radiohead nous amène là vers une bossa pleine de spleen et le groove de la batterie apporté par Phil Selway me fait saliver d'avance à la future version Live.

T comme Tinker Tailor Soldier Sailor Rich Man Poor Beggars Man thief, titre d’une comptine anglaise, mais aussi d'une nouvelle d'espionnage de John Le Carré, qui apporte progressivement un éclaircissement sur cet album envoûtant et discrètement paranoïaque. Le début du morceau pourrait faire penser à un morceau de « The Eraser », le premier album solo de Thom Yorke, mais Jonny Greenwood le rejoignant, c’est comme un dialogue des deux leaders naturels du groupe qui se termine avec l'omniprésence des cordes éthérées.

T comme True love waits. Titre que connaissent bien les fans de Radiohead, enregistré sur l'album Live du groupe "I might be wrong". Cette version studio est pour moi le quatrième chef-d'œuvre de l'album. Il conclut « A moon shaped pool » tout comme il concluait le Live. La guitare remplace le piano, la voix de Thom Yorke semble encore plus belle et son "don't leave", sorte de "ne me quitte pas” oxfordien, ferait pleurer le plus insensible garde du Palais de Buckingham. Encore une fois le piano traité comme musique pointilliste est une réussite. L'album s'achève sur un long fade out de vingt secondes laissant place au silence, le silence que l'on ne retrouve qu'en pleine nature, cette nature qui à l'évidence rend tellement soucieux Radiohead.

Au final ce neuvième album est à ranger tout en haut de la pile de l'œuvre de Radiohead.
Il représente comme un tour d'horizon des derniers albums avec une pointe de mélancolie encore plus présente.
La fin des années 80 et des années bling bling à la U2 est très loin.

Radiohead est bien le groupe de musique (pourquoi que rock ?) qui marquera ce début de 21ème siècle.

Sébastien Paindestre

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