Camille Bertault (voix), Olivier Hutman (piano), Gildas Boclé (contrebasse),
Antoine Paganotti (batterie)
Maurepas, mai 2015
Sunnyside SSC 1438 / Naïve
De cette chanteuse, on lit partout qu'elle a fait l'événement communicatif (en franglais le buzz ) sur la toile (en franglais le net....). Et que le microcosme états-unien a relayé ses vidéos via des références indiscutables (Wayne Shorter, l'entourage de Brad Mehldau....). Ce n'est pas rien. C'est même ce qui lui a ouvert les portes du plus français des labels new-yorkais, Sunnyside, après qu'un financement participatif a permis l'éclosion de la séance d'enregistrement.
Mais l'essentiel est ailleurs : dans une rage de partager un amour du jazz qui se révèle dans les nombreuses versions scatées de Coltrane, Bill Evans et consorts publiées sur Youtube ; et dans un désir profond de jazzer aujourd'hui en français sans négliger la prosodie de notre langue. Le résultat vaut le détour : belle voix agile, timbre qui touche, et textes qui font mouche le plus souvent. La qualité de l'objet tient aussi au trio qui l'accompagne : Olivier Hutman au piano, maître ès-balancement contagieux, et connaisseur érudit de cette musique ; Gildas Boclé, nourri Outre-Atlantique aux émois jazziques de première main ; et Antoine Paganotti, subtil pourvoyeur d'effractions douces dans le cours du chant. Après un tour de chauffe sur Empty Pockets de Herbie Hancock, habillé d'un texte sinueux sur l'art des pickpockets (Quoi de plus anodin), la chanteuse dérive en scat dans Course, magnifié d'harmonies en rerecording, et que l'on dirait inspiré par la course folle d'un certain À bout de souffle de Claude Nougaro. C'est au sublime Toulousain que l'on pense parfois, dans le goût des images, et l'aisance prosodique ; et à Mimi Perrin évidemment : on connaît de plus mauvaises influences.... Et à Nougaro encore que l'on songe en écoutant le mélancolique mais humoristique À la mer tume ( Nougaro chantait « Je lance une bouteille à la mer... Hic ! »). Très belles versions de The Peacocks (Cette nuit) et de Prelude to a kiss (Prélude), chaque fois ornés de textes sensibles et plus que pertinents. Scat encore, et brillant, dans Double face et Tatie Cardy, puis valse mélancolique inspirée par Erik Satie (Satiesque), point final d'un CD qui culmine peut-être en sa troisième plage avec une très belle adaptation d'Infant Eyes de Wayne Shorter. On peut juger que la qualité des textes n'est pas encore totalement homogène, mais un prochain disque infirmera probablement cette petite réserve.
Xavier Prévost
Camille Bertault et ses partenaires joueront le mardi 10 mai 2016, à 20h30, à Paris au Sunside. Et le 19 juin au festival de jazz de Maisons-Laffitte
Sur Youtube, My cat doesn't like trumpet , un scat sur Le Bleu d'Hortense d'Éric Le Lann