Tout commence par un matin de grève de la SNCF : afin de rallier depuis sa banlieue la Gare de Lyon, le chroniqueur francilien a dû, pour pallier les suppressions de RER, anticiper l'abandon du domicile ; et comme transports il y eut, presque à l'heure habituelle, ce premier but fut atteint avec une avance considérable. Occasion rêvée de s'offrir le luxe d'un café dans la décor majestueux du restaurant le Train bleu, et d'entamer la lecture du formidable livre d'Agnès Desarthe sur René Urtreger, Le Roi René (éditions Odile Jacob). Et cette lecture va enchanter les presque quatre heures de TGV jusqu'à l'escale arlésienne.
« INSTANT SHARINGS » : Bruno Angelini (piano, composition),
Régis Huby (violon, violon ténor, effets électroniques), Claude Tchamitchian (contrebasse),
Edward Perraud (batterie & percussions)
Arles, Chapelle du Méjan, 19 mai 2016, 20h30
La chapelle du Méjan demeure l'écrin idéal pour la programmation de Jazz in Arles, et singulièrement du groupe de Bruno Angelini : piano toujours exceptionnel, cadre intime, public motivé, attentif et empathique (sympathique aussi). Le programme est majoritairement celui du disque publié au printemps 2015 ( voir la chronique dans Les DNJ ), mais dans un ordre différent. La plupart des compositions sont signées par le pianiste, et s'y ajoutent des compositeurs admirés par le groupe : Wayne Shorter, Steve Swallow et Paul Motian. C'est le premier cité qui ouvre le set (le concert se joue en deux parties), avec Meridianne, un thème que le saxophoniste avait joué voici une vingtaine d'année en duo avec Herbie Hancock ; suivra Some Echoes de Steve Swallow. Vient ensuite une composition de Bruno Angelini qui figurait aussi sur le CD.
Après l'entracte, et une autre compo extraite du disque, voici un tout nouveau thème. On est frappé d'emblée par la cohésion du groupe, l'adhésion de chacun au répertoire, et le considérable degré d'interaction que suggère l'intitulé : instant sharings, au-delà de la notion de partage, c'est dans l'univers numérique la connectivité instantanée, notion qui rejoint bien la haute connivence où se trouve un groupe de jazz. Car c'est bien de jazz qu'il s'agit : l'esprit de musique de chambre qui régnait sur le disque, et qui n'excluait nulle intensité, se trouve ici sublimé par une formidable expressivité, nuances et violences comprises. Dans ce nouveau thème, les quatre musiciens font entendre successivement (et parfois presque simultanément) l'harmonie des sphères et le chaos originel d'où naît le cosmos. On revient ensuite au répertoire déjà enregistré. Chacun trouve sa place dans cet espace démocratiquement partagé : le bassiste, avec son ancrage solide, et ses libres envolées, en pizzicato ou à l'archet, impressionne par son talent d'écoute qui le fait réagir avec nuance aux sollicitations de chacun ; le pianiste, qui mène la danse sur des indications souples et préalables, lesquelles laissent toujours place au génie de l'instantané ; le batteur-percussionniste, sans cesse à l'affût, pertinent, inventif et imprévisible ; le violoniste, qui privilégie ce soir-là le violon ténor, jouant finement des effets électroniques pour installer des tenues en boucles superposées sur lesquelles s'improvisent une véritable partita, qui sera relayée par la contrebasse à l'archet. On est émerveillé par un tel engagement et une telle connivence. Après un thème de Paul Motian, le concert se conclut provisoirement par une belle composition de Bruno Angelini en hommage à sa grand-mère marseillaise. Le public, comblé, rappelle la bande ; ce qui nous vaudra une toute nouvelle composition (promise à un prochain disque, on l'espère), Jardin perdu, merveille de mélodie nostalgique et de raffinement musical. On est conquis par ce beau voyage en terre de complicité musicale.
Xavier Prévost