Jeremy Bruger (piano), Raphaël Dever (contrebasse), Mourad Benhammou (batterie)
Le Pré-Saint-Gervais, 12 mai 2015
Black & Blue BB 810.2 / Socadisc
Trois ans après « Jubilation », le pianiste normand récidive, avec ce nouveau disque, toujours empreint de la tradition pianistique des années 50-60, et avec toujours cet impeccable sens de l'idiome qui lui avait valu l'adoubement du pianiste Alain Jean-Marie pour son premier disque. Cette fois, c'est l'ami Claude Carrière qui signe le texte du livret, et il relève à juste titre le culot de ce jeune musicien qui ouvre l'album par un grand standard ellingtonien, Prelude to a Kiss, dans un arrangement personnel et décoiffant, à la façon de Ahmad Jamal, en le prenant sur un tempo plus vif, avec une dramaturgie où les partenaires (contrebasse et batterie) ont une place de choix. Dans tout le disque d'ailleurs, la réactivité triangulaire des musiciens est exemplaire. Le disque déroule un programme où d'autres standards de Broadway (Gershwin) côtoient des standards du jazz (George Shearing, Cedar Walton, Thelonious Monk), et des compositions originales. You Make Me Feel So Young, immortalisé par Sinatra, mais balisé côté piano par Oscar Peterson, est repris avec une hardiesse souple et une tranquille assurance, dans un swing détendu. Pour une valse de son cru ( Waltz #1 ), Jeremy Bruger regarde plus vers Hank Jones que du côté de Bill Evans, preuve d'indépendance d'esprit, d'autant que le résultat est d'une pertinence exemplaire. Plus loin le choix de The Mood Is Mellow n'est pas innocent : George Shearing l'avait composé, et il en grava une version au début des années 60 avec la rythmique historique d'Ahmad Jamal : Israel Crosby et Vernell Fournier. Là l'interprétation est très en phase avec l'original, jusque dans la recherche du perlé. Le pianiste a aussi pensé à écrire des thèmes pour permettre à ses deux complices de s'exprimer. Plus loin un chant de Noël du 18ème siècle, revu par un autre adepte de Jamal, le pianiste Eric Reed, s'inscrit également au programme du CD. Lequel se conclura par une interprétation de Reflections de Monk, très recueillie mais pas du tout servile, jouant sur la rondeur du son et le velouté de la résonance là où Monk privilégiait l'anguleux et l'abrupt : bel hommage de celui qui ne se veut pas épigone, mais un admirateur fervent.
Xavier Prévost