NUCLEAR FAMILY Joe MCPHEE & André JAUME
Corbett Vs Dempsey
Joe McPhee alto & tenor saxophones, pocket cornet
André Jaume alto and tenor saxophones, bass clarinet
Enregistré en studio à Paris pour le label suisse Hat Hut en 1979, ce Nuclear family est une nouveauté qui est restée près de 40 ans oubliée, puisque cet album n’est jamais sorti ! Mystère de la production, défaut de distribution? On ne saura vraiment jamais ce qui s’est passé mais l’essentiel est que nous puissions entendre aujourd’hui, avec le recul et une certaine émotion- il faut bien le reconnaître, deux très grands improvisateurs autour de grands classiques du jazz.
Deux compositions de Mingus et non des moindres, «Pithecanthropus Erectus», "Self Portrait in Three Colors", « Blue Monk » de T.S Monk, « Come Sunday » de Duke Ellington, « Chelsea Bridge » de l’alter ego du Duke, Billy Strayhorn et cerise sur le gâteau, « Lonely Woman » d’Ornette en final (avec un solo d' André Jaume), sont les thèmes repris, déconstruits, en utilisant dans divers contextes leurs instruments, alto, ténor, cornet de poche, clarinette basse. Ils passent de l’un à l’autre avec aisance selon le « mood », la couleur qu’ils veulent donner, inversent en miroir les rôles, se complétant intelligemment et avec sensibilité. Le jazz de la grand époque (encore proche en 1979) mais aussi par extension, leur «actualité musicale», toujours empreinte de révolte et de rage. Pour rappel, Nation Time de Mc Phee date de 1970.
Le titre peut s’expliquer de différentes façons : «Nuclear» est le nom d’une des compositions de McPhee, où il joue du cornet de poche, ne manquant ni de délicatesse ni de force, avec une réponse des mieux adaptées, sur «la même longueur d’onde» de Jaume au ténor et à la clarinette basse. Pour McPhee, le son qu’il tire de son embouchure est « a plausibly impossible sound ». Yaurait-il à voir avec une autre forme d’explosion nucléaire, sonique cette fois?
Il faut aussi comprendre l’inclusion de nos deux amis dans un plus grand ensemble, une famille de musiciens beaucoup plus large. Ils se situent parfaitement dans cette suite augmentée, dans le sillage des Monk, Mingus et Ellington. Ecoutez les reprendre avec une fidélité émue les thèmes splendides de «Blue Monk», "Chelsea Bridge", «Come Sunday» avant de les désintégrer justement.
Il ne saurait y avoir enfin de titre plus juste pour évoquer ce que l’on ressent en écoutant ces frères de son, à défaut de sang, ces musiciens de "clan "qui ne se sont jamais perdus de vue. Ils posent en page intérieure sur une photo d’époque de Christian Ducasse, côte à côte, complices, constamment sous tension, superbement réactifs. C’est toujours à l’ampleur de la voix, à la fascination du chant intérieur, à l’expression libre que tous deux se réfèrent. Ils imposent un climat insolite, rebelle, intégrant avec souplesse imprévus et artefacts de leur musique qui se veut aussi dérangeante. Car elle était réellement engagée et politique. Vibrantes démonstrations d’un souffle , d'une "anima" free, distorsions légères, transgressions exprimées en un élan continu pour rendre compte des fractures de l’âme et du corps.
Un témoignage précieux qui nous est enfin restitué : à se procurer de toute urgence.
Sophie Chambon