Yoann Loustalot (trompette, bugle), Blaise Chevallier (contrebasse), Frédéric Pasqua (batterie)
invité : Glenn Ferris (trombone)
Poitiers, 21-23 novembre 2016
Bruit Chic 0082674/ l'autre distribution
Troisième CD pour le trio, le deuxième avec Fred Pasqua à la batterie, le deuxième aussi avec invité : la fois précédente c'était la flûtiste Naïssam Jalal (« Flyin' With », Bruit Chic) ; cette fois c'est le tromboniste Glenn Ferris, sérieux pourvoyeur de jazzité expressive. L'atrabile, cette bile noire que la médecine d'antan rendait responsable de la mélancolie, Ambroise Paré l'appelait atrebile, et Molière en faisait plutôt la cause d'un caractère ombrageux et colérique, celui de l'atrabilaire. Mais l'humeur noire dont il est question dans le thème qui donne au disque son titre, c'est bien celle qui «Porte le Soleil Noir de la Mélancolie». Et la première plage, justement intitulée Atrabile, remplit joliment son office, très bien servie par de subtiles interactions entre les lignes et les timbres. Yoann Loustalot, au bugle, et Glenn Ferris au trombone, rivalisent de sombre expressivité, avec le soutien d'une contrebasse qui nous donne à penser que les contrechants désespérés «sont les chants les plus beaux» ; et d'une batterie qui distille d'inquiétants mystères. Cette couleur de «ciel bas et lourd» parcourt une bonne part du disque, et en constitue grandement le charme. Quand le rythme plus vif et marqué s'en mêle, la tonalité demeure cependant plutôt sombre, avec toujours cette fine polyphonie qui débouche sur des solos qui racontent le spleen, une beauté surgie de l'abîme plus que du ciel profond. C'est le cas de la deuxième plage ; et la troisième rappellera aux amateurs chenus (dont je suis) l'atmosphère du quartette de Gerry Mulligan avec Chet Baker, mais avec un expressionnisme assumé. Une courte plage, Sornette, composée à la mort d'Ornette Coleman et donnée sur le tempo vif d'une fausse gaieté, reste dans les mêmes couleurs. De très belles mélodies, ancrées dans la nostalgie d'un monde perdu, font mouche tout au long du disque, magnifiées par des répons qui leur donne une solennité empreinte de la plus vive nostalgie. C'est souvent «triste et beau comme un grand reposoir» et quand c'est fini, insatiables cafardeux, nous en redemandons, car c'est un bonheur que de céder à une sombre beauté. Trêve d'affliction, le disque connaît aussi ses moments de fantaisie et d'humour, notamment dans deux plages totalement (et magistralement) improvisées. Bref il est presque parfait, et parfaitement conseillé.
Xavier Prévost
Le groupe jouera le jeudi 25 mai 2017 à Paris au Sunset, pour célébrer la sortie du disque, survenue voici quatre semaines.