Daniel Humair (batterie), Vincent Lê Quang (saxophones ténor et soprano), Emil Spányi (piano), Stéphane Kerecki (contrebasse)
Gütersloh, 11 novembre 2016
Intuition INTCHR 713322 / Socadisc
Une nouvelle référence, volume 10, dans la série 'European Jazz Legends', qui associe le magazine allemand Jazz thing, la radio de l'Ouest germanique WDR (Westdeutscher Rundfunk) et le théâtre d'une ville de Rhénanie-du-Nord Westphalie, Gütersloh. Pour les figures hexagonales, après Henri Texier et Michel Portal, et avant Louis Sclavis, c'est le tour de Daniel Humair (certes Suisse, mais installé en nos frontières depuis plus de dix lustres, et expert confirmé en vins et gastronomie de notre doux pays). Ce quartette du batteur n'est pas le plus exposé, mais il est assurément d'une qualité exceptionnelle. Comme la plupart des groupes de Daniel Humair depuis plus de dix ans (Baby Boom, Sweet and Sour...), celui-ci l'associe à de jeunes musiciens qu'il a découverts notamment dans le cadre de ses activités d'enseignant au Conservatoire National Supérieur de Paris. Ses trois partenaires dans ce quartette ne dérogent pas : ils sont passés par le département de jazz du CNSMDP, où ils ont fait forte impression, et y sont retournés comme enseignants ou comme intervenants. Trois talents remarquables : le saxophoniste Vincent Lê Quang néglige un peu sa carrière de soliste au profit de celle de pédagogue (ses étudiants ne s'en plaignent pas, mais les amateurs s'en attristent....) ; nous sommes nombreux aussi à regretter de ne pas voir le pianiste Emil Spányi plus souvent sur scène (mais quand cela se produit, c'est toujours dans la meilleure des compagnies (François Jeanneau, Christophe Monniot, Louis Sclavis, Éric Barret....) ; quant au contrebassiste Stéphane Kerecki, très demandé comme sideman, et souvent entendu à la tête de ses propres groupes, il s'est lui aussi imposé comme une référence. Bref une équipe de division internationale, qui promet le meilleur : promesse tenue !
Le répertoire emprunte à François Jeanneau, Michel Portal, mais surtout à des compositions de Daniel Humair issues de diverses époques de son parcours. Fidèle à son éthique qui repose sur la liberté de jouer, le batteur laisse ses musiciens s'exprimer largement sur le matériau musical qu'il propose, et l'on tutoie souvent les sommets : Emil Spányi s'évade dans une liberté virtuose (où chaque note cependant s'impose par sa cohérence) dès la première plage, Arfia. Vincent Lê Quang lui emboîte le pas dans la suivante pour un dialogue fructueux entre piano et sax, véhémentement soutenu par Daniel Humair et Stéhane Kerecki ; le tempo passe du plus vif au désir d'accalmie, mais tout est toujours d'une cohérence remarquable. Et cet équilibre miraculeux perdure de plage en plage, que les thèmes soient mélancoliques (parfois) ou frénétiques (souvent). L'interaction, la magie de l'interplay, culmine peut-être dans une ballade totalement improvisée, simplement intitulée.... Ballad ! La force de proposition mélodique du saxophoniste et l'instantanée réactivité du pianiste vont ouvrir l'espace d'un voyage imprévu, aux multiples détours. Daniel Humair saisit chaque occasion pour créer un nouveau champ sonore, ouvrir une brèche, tout en assurant cette pulsation qui fonde le jazz au plein sens du terme, en parfaite harmonie avec Stéphane Kerecki, lequel sait aussi merveilleusement s'évader pour une digression féconde. Et la magie continue d'opérer jusqu'au terme du disque où, comme dans chaque volume de la collection, Götz Bühler (de la radio WDR3) réalise en public un entretien -ici en anglais- avec le leader , qui parle de l'esprit collectif qui préside à son art, de ses souvenirs musicaux, et de la réception parfois inadéquate de cette musique. Un disque vraiment recommandable.
Xavier Prévost
Daniel Humair jouera avec un autre de ses groupes, Belle Époque (Émile Parisien, Vincent Peirani, Jérôme Regard) le mardi 23 mai à la scène nationale Les Gémeaux de Sceaux (Hauts-de-Seine)
http://www.lesgemeaux.com/spectacles/daniel-humair-quartet-sweet-and-sour/