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1 juin 2017 4 01 /06 /juin /2017 06:54

 

Pour la 36 ème édition de Jazz Sous les Pommiers, mon séjour à Coutances fût bref (48h), mais particulièrement intense !

A peine arrivé, sous un ciel clément et une chaleur estivale, j’entrais dans le théâtre pour un voyage tropical au cœur de la Colombie. Il ne manquait rien, la chaleur, les couleurs, les tambours, les danses, et les mélodies typiques, chantées avec beaucoup de ferveur et d’élégance par la grande Toto La Momposina, en très grande forme, malgré son âge (77 ans !).

Difficile de retrouver le sol ferme normand après ce voyage exotique où Toto nous a démontré une fois de plus son talent de chanteuse et de danseuse, se donnant à 100 %, sans montrer aucun signe de fatigue, devant un public conquis qui lui fît une belle ovation. L’air du fameux El Pescador dans la tête, je ne vis aucun poisson à attraper entre le théâtre et la Salle Marcel-Hélie, où un célèbre guitariste américain en pull marin attendait une salle comble et surchauffée. Pat Metheny, après un concert d’anthologie la veille à l’Olympia, avait décidé de faire plaisir au public de Coutances, nous précisant d’entrée qu’il aimait particulièrement jouer à Jazz Sous les Pommiers. Le concert fût immanquablement un des plus beaux et des plus intenses du festival, pendant plus de deux heures, le jeune sexagénaire Pat Metheny (et même sexygénaire, comme le mentionnait ma voisine !), au sommet de son art, nous a donné beaucoup de plaisir et procuré beaucoup d’émotion en revisitant de fond en comble son répertoire. Un « Pat Metheny Song Book » très impressionnant, qui se déploie sur 40 ans de carrière et qui était entièrement revu et corrigé, avec des arrangements spécifiques pour ce nouveau quartette réjouissant qui propose un jazz acoustique, élégant, et sophistiqué. Le pianiste anglais Gwilym Simcock, jouant uniquement du piano acoustique, est une véritable révélation par son jeu subtil et délicat. Il s’intègre parfaitement bien au groupe au sein d’une interaction musicale jamais prise en défaut. La contrebassiste malaisienne Linda Oh, découverte dans la formation de Dave Douglas, est très à l’aise rythmiquement et fort inventive d’un point de vue mélodique. C’est une excellente recrue pour Metheny, et enfin, inutile de vous présenter Mr Antonio « Birdman » Sanchez, le batteur mexicain au physique impressionnant qui joue avec Metheny depuis plus de 15 ans et qui allie avec bonheur une puissance démoniaque avec une délicatesse d’ange ! Au cours du concert, Metheny s’est amusé à intégrer des passages en duo avec chacun de ses musiciens, ce fût des moments particulièrement propices à l’improvisation et à l’interaction. De purs moments de musique intense et jouissive ! Sortant de la Salle Marcel-Hélie sur un nuage, je n’avais plus qu’à me laisser guidé vers le Magic Mirror où le trio du pianiste Rémi Panossian investissait les lieux avec beaucoup d’aisance, comme si les musiciens étaient chez eux. Un concert très agréable avec ce trio « moderne » qui lorgne un peu dans la direction d’E.S.T., mais en développant un univers original tout à fait singulier. Une musique attachante, servie par le talent de trois musiciens en osmose, dont le contrebassiste Maxime Delporte et avec une mention particulière pour le jeu de batterie impressionnant de Frédéric Petitprez !

Douze heures plus tard, dans ce même Magic Mirror, j’ai pu apprécier les trois groupes français programmés avec beaucoup d’intelligence et de clairvoyance  au sein de l’intitulé : « Scène Découverte ».  Le trio Ikui Doki, composé du saxophoniste Hugues Mayot, de la bassoniste Sophie Bernado et de la harpiste Rafaelle Rinaudo, revisite avec bonheur la musique française impressionniste du XX ème siècle (Debussy en tête) dans une logique jazzistique, c’est-à-dire vers une musique ouverte sur l’improvisation. Un très beau moment de poésie musicale chambriste ! Puis ce fût au tour de Post K d’investir les lieux, ce quartette impressionnant (Jean Dousteyer aux clarinettes, Benjamin Dousteyer aux saxophones, Mathieu Naulleau au piano et Elie Duris à la batterie), s’inspire du jazz des années 1920 en le dépoussiérant afin de proposer un jeu ouvert sur l’audace et le free. C’est original, euphorisant et totalement réussi !

Le groupe Awake (Romain Cuoq au sax, Anthony Jambon à la guitare, Leonardo Montana au piano, Florent Nisse à la contrebasse et Nicolas Charlier à la batterie) termine en beauté cette scène découverte avec cinq musiciens talentueux en parfaite harmonie autour d’une musique très bien écrite, lyrique et expressive.
Retour dans le théâtre de Coutances, où les concerts ont toujours une saveur particulière avec un public généreux et enthousiaste pour une création d’Airelle Besson qui achève ainsi sa troisième année de résidence à Coutances. Une création passionnante où la trompettiste s’est entourée de deux musiciens allemands particulièrement doués : le pianiste Sébastien Sternal (ancien élève de John Taylor et d’Hervé Sellin), aussi inventif au piano acoustique qu’au Fender Rhodes et le batteur Jonas Burgwinkel qui a stupéfait le public par la singularité de son jeu très sophistiqué. Des nouvelles compositions écrites spécialement pour ce trio où venait se greffer la comédienne sourde Clémence Colin qui proposait une lecture improvisée, chorégraphique et gestuelle, en langage des signes, en adéquation avec la musique du trio. Une belle leçon de poésie et d’humanité qui me fit prendre des ailes pour filer Salle Marcel-Hélie écouter le nouveau groupe de Youn Sun Nah pour la sortie de son nouvel album : « She Moves On ».  Notre chanteuse coréenne préférée était très émue de présenter ce nouveau répertoire et ce nouveau groupe à Coutances, première date d’une longue tournée qui se terminera le 13 août. Quatre musiciens américains l’entourent avec bonheur pour interpréter les excellentes chansons de ce dernier album (Jamie Saft aux claviers, qui a produit l’album, Clifton Hyde à la guitare, qui remplace Marc Ribot pour la tournée, Brad Jones à la contrebasse, et Daniel Rieser à la batterie). On retiendra l’impressionnante reprise de Jimi Hendrix (Drifting) avec le solo fougueux du guitariste Clifton Hyde, le Teach The Gifted Children de Lou Reed (inspiré du Take Me To The River d’Al Green), le très émouvant Black Is The Color Of My True Love’s Hair, et au final sa reprise de Jockey Full Of Bourbon de Tom Waits, issue de son premier album chez Act (« Voyage ») et réarrangé pour l’occasion avec ce groupe.

Quatre-vingt-dix minutes de bonheur intense et d’émotion à fleur de peau qui ne s’arrêteront pas là, car l’un des plus grands pianistes de jazz américain va investir dans la foulée le théâtre pour un concert mémorable (écoutable sur France Musique dans le podcast du « Jazz Club » d’Yvan Amar). Il s’agit de Fred Hersch, qui avec le contrebassiste John Hébert et le batteur Eric McPherson ont bouleversés le public de Coutances. Impossible de trouver un pianiste aussi habité, élégant, et lyrique, chaque morceau est un véritable joyau ciselé avec finesse et remarquablement sculpté par les trois musiciens, au même diapason et en parfaite cohésion. Les compositions de Fred Hersch sont lumineuses et profondes (Serpentine, Floating) et ses reprises particulièrement réjouissantes et émouvantes (For No One des Beatles ou We See de Monk). Enfin, n’oublions pas de mentionner les deux concerts promenades du vendredi matin dans des lieux idylliques, en plein air : le duo composé du trompettiste italien Luca Aquino et de l’accordéoniste Carmine Ionna, rejoint sur deux titres par Eric Truffaz et le trio magique du vibraphoniste David Patrois avec le saxophoniste Jean-Charles Richard et le batteur Luc Isenmann. Un festival réussi qui a apporté beaucoup de bonheur et d’émotions aux festivaliers, venus comme d’habitude fortement nombreux (la plupart des concerts affichaient complet !).

Vivement l’année prochaine pour une autre aventure où l’on attend avec impatience la résidence d’Anne Paceo !
 

Lionel Eskenazi

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