
STÉPHANE PAYEN « Morgan the pirate »
Stépahen Payen (saxophone alto, percussions), Sylvain Bardiau (trompette, bugle), Frédéric Gastard (saxophone ténor), Matthias Mahler (trombone), Gilles Coronado (guitare), Christophe Lavergne (batterie)
Villetaneuse, janvier 2017
Onze Heures Onze ONZ 023 / Absilone
C'est une sorte de jeu à contraintes, comme la musique, et plus largement les arts, peuvent en susciter. C'est une histoire vieille comme l'histoire de l'art. Quand Bach s'emparait d'un petit thème du roi Frédéric II pour le magnifier en Offrande musicale, c'était une sorte de jeu à contrainte, avec le résultat génial que l'on sait. Ce détour n'est pas là pour voir en Stéphane Payen l'égal de Bach, mais simplement pour rappeler qu'en art la contrainte peut être l'un des ressorts de la créativité, et un générateur d'espaces de liberté insoupçonnés. Le matériau, ce sont des compositions de Lee Morgan, issues de quelques-uns de ses disques Blue Note des années 60 : « The Sidewinder », « Search for the New Land », « The Rumproller », « Cornbread », « The Procrastinator ». Beaucoup de thèmes bâtis sur des structures (élargies) de blues, souvent joués dans leur tonalité originelle, parfois transposés (voire agrémentés d'escapades polytonales), parfois exposés dans leur intégrité, souvent déconstruits (et reconstruits) avec une passion amoureuse et créative. S'intercalent des compositions originales (signées par le leader, mais aussi par les membres du groupe, parfois très brèves, et parfois très développées), qui peuvent apparaître soit comme la clé d'interprétation, soit comme la trace de l'inspiration ; et aussi comme autant de dérives suscitées par les thèmes choisis. Comme toujours avec Stéphane Payen (et aussi avec ses comparses, le guitariste et le batteur du groupe Thôt, partenaires depuis deux décennies, ainsi que les membres du trio Journal intime), c'est élaboré, et très libre, dans le même geste. C'est passionnant, surtout si l'on multiplie les écoutes, de surcroît en revenant vers les originaux de Lee Morgan. Ce fut pour moi l'occasion de me replonger dans des disques du trompettiste qui pour certains n'avaient pas quitté les rayons de ma discothèque depuis des années. En prime une plage, non mentionnée sur la pochette, où l'improvisation se débride avec gourmandise. Cela nous change des relectures-prétextes dont l'époque est prodigue. Pour toutes ces raisons, et notamment pour cette occasion rare de savoir, dès la première écoute d'un disque, que l'on y reviendra, et avec plaisir, à tous les membres du sextette je dis : merci !
Xavier Prévost
Le groupe jouera le mercredi 13 décembre à Paris, au Studio de l'Ermitage