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22 mars 2018 4 22 /03 /mars /2018 15:07

Bruno Ruder (piano, compositions), Rémi Dumoulin (saxophones ténor & soprano, compositions), Aymeric Avice (trompette, bugle), Guido Zorn (contrebasse), Billy Hart (batterie)

Lyon, 14 & 15 janvier 2017

Assosiciation du Hajeton HAJ 0001 / Absilone-Socadisc

 

Un projet singulier, concocté par deux musiciens qui ont eu en commun, en plus de leur formation au Conservatoire de Paris (CNSMDP), d'avoir croisé dans leurs expériences scéniques le batteur Billy Hart. Pour Bruno Ruder, ce fut dans le groupe de Riccardo Del Fra, et pour Rémi Dumoulin à l'occasion d'un programme de l'ONJ Daniel Yvinec qui associait le musicien américain en soliste. Marqués par cette double expérience, ils ont élaboré une musique sur mesure, destinée à accueillir Billy Hart en batteur-créateur de sa propre partie. L'expérience s'est déroulée à l'Amphi Opéra de Lyon, et elle s'est conclue par deux concerts, lesquels ont été enregistrés. Et les deux leaders ont ensuite élaboré, à partir de ces enregistrements, un objet musical autonome, qui a repris les éléments de ce concert sous forme d'un montage scénarisé. Il en résulte une œuvre singulière, habitée à la fois par la magie vivante du concert et par la construction d'une univers fictionnel. Autant le dire tout net : la réussite est totale. Tout ce que draine l'irremplaçable vécu du jazz est là, avec la part spontanée (stimulée encore par la totale latitude laissée au batteur), la magie de l'instant. Et cette précieuse matière est mise en forme par l'élaboration phonographique. On dépasse ainsi la problématique de Walter Benjamin, pour qui la reproduction mécanique frustrait l'œuvre d'art de son aura, cette part insaisissable qui résulte de l'exécution unique et incarnée. Ici l'enregistrement et sa post-production participent de l'aura. Chacune des plages du disque constitue en fait un élément d'un tout (puzzle ou suite ?) totalement cohérent. À Billy Hart qui lui demandait ce qu'il attendait d'un batteur, Stan Getz avait laconiquement répondu «undulate». Onduler dans et autour de la musique écrite pour qu'il y trouve sa place, c'est ce qu'a fait le batteur dans cette œuvre singulière, ou plutôt pour et par lui singularisée. Le résultat est étonnant, presque magique. Les deux musiciens, dans le livret du CD, écrivent ceci : «Billy semble littéralement appliquer depuis sa batterie des oscillations aux courbures de notre espace-temps. Il donne pour ainsi dire une réalité à ce phénomène prédit par Albert Einstein il y a un siècle et observé tout récemment pour la première fois : les ondes gravitationnelles» : d'où le titre de l'album. Même si comme ceux qui ont étudié l'histoire des sciences je me défie des analogies qui tentent de figurer la réalité scientifique, je trouve l'image appropriée, d'autant qu'elle est ici inversée par une sorte de renversement poétique. Les solistes-compositeurs et leurs partenaires habitent cet espace fictionnel avec une pertinence qui ne déflore jamais totalement le mystère : la forme, les sons, les timbres et les improvisations touchent à la perfection ; une vraie grande réussite artistique ; une œuvre d'art, en somme.

Xavier Prévost


 

Le groupe est en concert à Paris, au Sunside, les 23 & 24 mars.


 

Un avant-ouïr sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?v=Q467loRS7A0

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