Au sommet de son art vocal, Kurt Elling se pose des questions sur l’état du monde, la pauvreté extrême côtoyant la richesse énorme, la montée des extrémismes. Le lauréat de l’Académie du Jazz et des Grammy Awards reste influencé par le diplôme de philosophie de la religion obtenu dans sa ville natale de Chicago. Le baryton admirateur de Jon Hendricks et …Jean Sablon apporte sa réponse au climat général anxiogène avec un répertoire allant de Leonard Bernstein à Bob Dylan. A la veille d’une tournée en France pour présenter « The questions » (Okeh-Sony)-dont Jean-Marc Gélin vous a fait un compte-rendu enchanteur- Kurt Elling se confie aux DNJ.
Les DNJ: Diplômé à l’Université en philosophie de la religion, êtes vous influencé par vos connaissances dans votre expression artistique ?
Kurt Elling. La philosophie de la religion n’a jamais été aussi présente dans mon univers que maintenant. Ce disque, The Questions, traite de la confrontation à laquelle nous devons faire face dans cette époque effrayante et perplexe. C’est un défi politique, idéologique, financier à relever. Depuis la création du monde, nous n’avons jamais eu autant de pouvoir pour détruire et pour créer, ni jamais autant d’incroyable richesse et en même temps une telle pauvreté. En tant que citoyen, j’ai besoin de comprendre ce que je suis supposé faire. Je ne peux être un homme politique, je ne peux être un roi. Je peux à peine me contrôler moi-même, je peux voir et ressentir la souffrance. Et cela, c’est là une question idéologique.
Les DNJ: Ces questions vous ont motivés dans le choix des titres pour cet album ?
KE : Tout ce que je savais, c’est que je voulais faire quelque chose qui vaille la peine en cette époque où se posent les questions de la valeur, du sens, de la moralité dans la relation que nous avons avec nous-mêmes et les autres. Nous devons faire face à cet aspect autodestructeur qui se trouve en chacun de nous et qui se manifeste dans tous les extrémismes et fanatismes ainsi qu’on le constate avec l’émergence du fascisme en Autriche ou encore avec les risques de frappes nucléaires, d’un désastre écologique ou même de guerre civile aux Etats-Unis.
Les DNJ : C’est un album que vous n’auriez peut-être pas fait il y a 20 ans ..
KE : Peut-être ! Je ne sais pas. Cet album a été réalisé avec Branford Marsalis, une deuxième collaboration après Upward Spirals (Okeh-Sony)en 2016, et qui reflète une relation forte entre nous. Le fait est que je ne peux ignorer ce qui se passe dans le monde, comme par exemple (et il montre la « une » d’un quotidien) ces massacres d’enfants en Syrie ou en Floride. Quand vous atteignez la cinquantaine (ndlr : il est né en 1967) et que le monde est horrible et dangereux comme il se trouve maintenant, est ce que je dois en prendre conscience ou passer mon chemin et faire comme si de rien n’était ? Je ne suis pas un bon chanteur engagé (“a good protest singer”), c’est donc un véritable combat pour moi de faire référence à ces questions. C’est un gros défi personnel. Je ne chante pas un Requiem mais je dois chanter ce que je ressens.
Les DNJ: Mais vous restez un chanteur de charme, un crooner …
KE : La période actuelle est aussi favorable au romanesque. Une des questions idéologiques les plus graves n’est elle pas, qu’est ce que l’amour ? comment nous trouvons l’amour, comment nous manifestons l’amour ? Je veux également divertir le public. Je veux que les spectateurs prennent du plaisir, qu’ils sortent du concert le plus heureux possible, qu’ils gardent un bon souvenir. Je suis très reconnaissant au public qui vient m’écouter, à Paris ou Copenhague. Je me sens responsable auprès du public. Je pense que le public attend que je poursuive dans cette voie. Je continue à apprendre autant que je peux, à présenter des chansons qui aient du sens et à progresser. C’est mon job. Je sais que je ne peux changer le monde… j’aimerais bien (rires)
Les DNJ: Avez-vous l’intention d’inscrire d’autres chansons françaises à votre répertoire, après des titres de Claude Nougaro et Jean Sablon ?
KE: J’aime beaucoup « Je tire ma révérence » de Jean Sablon, c’est agréable, un peu piquant, c’est ok. Mais avec les chansons en Français, il est difficile de rendre les nuances. Je ne connais pas assez bien le répertoire pour être assez précis dans l’expression. J’aimerais bien connaître toutes les langues. Quand je serai au ciel, je serai polyglotte ! (rires)
Propos recueillis par Jean-Louis Lemarchand
Kurt Elling. The Questions. Kurt Elling (voix, producteur), John McLean (guitares), Stuart Mindeman (claviers), Joey Calderazzo (piano), Clark Sommers (basse), Jeff « Tain » Watts (batterie), Branford Marsalis (producteur, saxophones), Marquis Hill (trompette, bugle). 5-12 octobre 2017. New York. Okeh-Sony.
En concert en avril en France, le 10 à Schiltigheim (Cheval Blanc) le 11 à Cholet (Théâtre Saint-Louis), le 13 à Caen (Théâtre), le 14 à Saint Nazaire (Théâtre), le 16 à Nice (Opéra Nice Côte d’Azur)et le 17 à Boulogne-Billancourt (La Seine Musicale) avec Stuart Mindeman, Clark Sommers, Jeff "Tain" Watts, John McLean et en invité à La Seine Musicale Rick Margitza (saxophones).