Geenleaf music 2018
Joe Lovano (ts) Dave Douglas (tp), Lawrence Fields (p), bassist Linda May Han Oh (cb) Joey Baron dms)
Les arbres dit-on ne montent pas au ciel. Les géants du jazz eux, le peuvent ! Et dans leurs sillages non seulement ils atteignent des sommets éternels mais en plus, ils vous emmènent avec eux tutoyer les anges.
Le nouvel album que signent Joe Lovano et Dave Douglas, deux vieux compagnons de route, est de ceux qui marquent l’année de leur sortie mais aussi l’avènement d’un événement musical d’où émerge un groupe en tous points exceptionnel. D’une dimension rare.
La trace des géants, ici c’est Footprint et Wayne Shorter ( « Adam’s apple - 1966), cette trace que suivent ici les membres de ce fabuleux quintet. La musique du saxophoniste est en effet ici à l’honneur comme le matériau privilégié qui nourrit l’âme et l’esprit de ces musiciens emmenés par un duo d’une rare intensité. Car entre le ténor de Cleveland (Joe Lovano) et le trompettiste de New-York (Dave Douglas), la complicité est déjà ancienne. Fusion. Télépathie. Ces deux-là parlent le même language. Se comprennent. Se complètent. Lorsqu’ils jouent ensemble c’est comme si le même esprit flottait sur eux, les enveloppaient du même voile animé du même souffle. Du même vent qui les emportent. Au son plein et ample de l’un répond les incises parfois brillantes et parfois éthérées de l’autre. Une même compréhension de l’harmonie qu’ils aiment à caresser. La musique est entre eux comme un trésor en partage. Le fil conducteur qui les amènent à jouer ensemble dans le même mouvement, avec la même intensité.
Alors quand ils s’inspirent de la musique de Wayne Shorter, l’un des plus grands compositeur de jazz du XXème siècle, il ne peut en résulter que pures merveilles.
Ici l’harmonie si chère à Shorter devient prétexte aux enveloppements, aux effluves musicales qui tournoient comme tournoient leur jeu de questions-réponses, en contre-chants sublimes et en âmes flottantes.
Téléphathique vous dit-on !
Et il faut cela pour s’attaquer à des monuments comme ce Fee-Fi-Fo-Fum tiré du mythique « Speak no evil », modèle d’écriture sublime et complexe ou encore ce Juju tiré de l’album éponyme (1965) et ici magnifiquement arrangé par Joe Lovano dans le pur esprit Shorterien.
Tout dans cet album est prétexte à monument.
Et pour couronner le tout encore fallait t-il s’appuyer sur une rythmique de très très haut vol qui vient à leur rencontre telle la charge de la brigade légère. L’association de Linda May han Oh à la contrebasse et de Joey Barron à la batterie confine au génie. On ne présente plus le batteur dont chacune des prestations est un modèle d’intelligence du drive quel que soit l’environnement dans lequel il s’exprime. La contrebassiste quand à elle livre peut être l’un de ses meilleurs albums. Elle est un socle solide, l’assurance du groove sous jacent, la base de tout. Peu de contrebassiste au monde peuvent élever leur niveau comme celui de Linda qui porte une grande partie de cet album. Quand au pianiste Saint Louis, Lawrence Fields, là aussi chacune des interventions porte une incroyable richesse harmonique. Comme de pures enluminures. Qu’il soit devant les solistes ou derrière, qu’importe. C’est un jeu d’une rare pertinence.
Produit sur le propre label de Dave Douglas, « Scandal » est un pur chef d’oeuvre.
Il n’ y a que Wayne Shorter lui même et son quartet qui domine le monde du jazz depuis quelques décennies qui puisse rivaliser sur ce terrain. Avec Danilo Perez, John Pattitucci et Brian Blade, ils tutoient les Dieux.
Joe Lovano et Dave Douglas quand à eux tutoient les anges.
Jean-Marc Gelin
LE QUINTET SERA A MARCIAC DIMANCHE 29 JUILLET