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4 août 2018 6 04 /08 /août /2018 16:57

 

Martial Solal (piano)

Glendale (Comté de Los Angeles), 19 & 21 juin 1966

Fresh Sound Records FSR -CD 960 / Socadisc

 

Disons-le tout net d'entrée : pièce maîtresse, grand moment de piano, et de jazz. La qualité technique de l'enregistrement est plus homogène que pour le volume 1 (cliquer pour accéder à la chronique du vol. 1) : pas de pleurage, diapason assez constant, tout juste un tout petit peu de pré-écho de temps à autre. J'en suis à me demander si l'éditeur n'a pas craint, s'il avait publié en premier ce volume, d'altérer la réception de l'autre, dont la qualité sonore était moindre : mystère de la mercatique.... Mais on peut se dire aussi que, ces séances ayant été conduites par Ross Russell, qui avait produit des enregistrements de Parker en Californie, et aussi publié un livre sur le 'Bird', il était naturel de publier d'abord un volume faisant la part belle au répertoire Parkérien.

Quoi qu'il en soit, voyons le programme du disque : une traversée de l'histoire du jazz, de Scott Joplin à Bud Powell en passant par Fats Waller, Jelly Roll Morton, Gershwin, Cole Porter, une poignée de standards, et même Offenbach (La Chaloupée, que Martial avait enregistré en trio dès 1953). Et bien évidemment, le tout traité 'à la Solal', c'est à dire avec virtuosité, virevoltes, humour, impertinence et passion pour ce jazz de toutes les époques. Il y même un boogie de sa plume (Blues Martial ), dans la tradition, mais avec quand même un petit coup de hachoir.... On trouve aussi une version façon antépisode de Ah Non ! , fameuse pirouette sur la méthode de Charles-Louis Hanon, professeur qui tortura bien des pianistes. Jusque là, la version princeps au disque était millésimée 1971 (33 tours RCA enregistré au Théâtre de l'Ouest Parisien), mais manifestement cela faisait un moment que Martial se jouait de ces exercices pianistiques pour les déjouer.... et les enjouer. Et puis une mystérieuse Suite # 105 qui n'est pas sans parenté avec la Suite n° 105 jouée en concert au studio 105 de Radio France le 20 décembre 1975 pour un concert 'Jazz Vivant' d'André Francis', et que l'on peut écouter sur le site de l'INA ; et aussi dans une certaine mesure avec la Suite for trio enregistrée en 1978 avec N.H.O.P. et Daniel Humair. Les standards de Broadway sont traités par Solal avec sa liberté coutumière (nourrie d'une longue pratique), tandis que les 'classiques du jazz' (Joplin, Fats, Jelly Roll) sont parcourus avec une joie aussi mutine et transgressive que déférente.... Martial s'amuse, et loin de nous amuser, il nous éblouit et nous transporte dans un monde insoupçonné, voire inouï.

Ce disque, comme le volume 1, se conclut par Un Poco Loco de Bud Powell : seul doublon, et totalement justifié. Plus qu'un peu fou, c'est complètement fou. Version un peu plus longue, plus libérée encore, dans l'exposé du thème comme dans l'improvisation. Martial, qui avait entendu Powell dans sa période parisienne, qui n'était pas la meilleure, a su garder le souvenir de la grande époque de Bud (1949-1951), et comme on le fait dans le jazz quand il est vécu intensément, il a su donner une autre vie à un chef d'œuvre.

Dans le long entretien qu'il m'avait accordé en 2003 (publié en DVD accompagné d'un livre en 2005 : Martial Solal, Compositeur de l'instant, INA-Michel de Maule), le pianiste situe vers la fin des années 70 le moment où, stimulé par la rencontre de Pierre Sancan quelques années plus tôt, il se sent un pianiste accompli : «J'avais un peu plus de 50 ans, déjà, et c'est seulement à ce moment-là que j'ai senti que je devenais un pianiste, après quelques années de travail». Pourtant en 1966, et même bien avant, son aisance et sa créativité nous éblouissent. Ce disque en témoigne plus qu'éloquemment !

Xavier Prévost

 

À signaler la parution récente chez Frémeaux & Associés d'un enregistrement de Stan Getz dont Martial est le pianiste, en janvier 1959 aux côtés de Jimmy Gourley, Pierre Michelot et Kenny Clarke : 9 plages d'un concert à l'Olympia, et 3 plages dans les studios d'Europe N°1 («Live in Paris, 1959»). Plusieurs enregistrements de 1958 (Paris, Cannes), où Solal accompagnait déjà Getz avaient déjà été publiés sous diverses formes.

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