Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
30 septembre 2018 7 30 /09 /septembre /2018 11:17
EMOUVANTES 2018 LES BERNARDINES, MARSEILLE  (SUITE ET FIN)

MUSIQUES AUX BERNARDINES

FESTIVAL LES EMOUVANTES 2018 (26 au 29.2019)

Il est de retour le festival du label marseillais EMOUVANCE et les souvenirs affluent, du temps où je collectionnais, chroniquais les albums de ce label indépendant créé en 1994 à Marseille par le contrebassiste Claude Tchamitchian, Gérard de Haro (La Buissonne) et Françoise Bastianelli : je découvrais alors ces musiques affines, improvisées, plutôt éloignées du jazz classique que j'affectionnais et aime toujours au demeurant. J'ai pu rencontrer ainsi des musiciens emblématiques du label (40 albums à ce jour) : Claude Tchamitchian créateur, âme vive du label et du festival, mais aussi le clarinettiste Jean-Marc Foltz ("Virage facile", mon premier coup de cœur du label), le pianiste Stephan Oliva, les guitaristes Philippe Deschepper, Raymond Boni qui, avec Eric Echampard jouait l'extraordinaire "Two Angels for Cecil", le saxophoniste Daunik Lazro....Hommage aux cultures méditerranéennes (bien avant le Mucem) et pas seulement, avec d'autres voix, d'autres frères de son, à défaut de sang.

Evoquons aussi les pochettes abstraites du label, sa charte graphique unique (police Bodoni) qui se marie si bien avec la ligne musicale d'Emouvance. 

Toujours voir la musique en action et cette année plus que jamais, la thématique de cette édition étant la poétique du mouvement avec des croisements féconds entre les différentes disciplines, texte, danse, vidéos, graphismes. A chaque fois, des concerts mis en lumière, en espace, en son, avec de l’imprévu, de l’improvisation, des musiques troublantes, réglées au cordeau, vivantes.

Singulière proposition que ces EMOUVANTES, dont c’est la sixième édition. Le festival a commencé en 2012 à la Friche de la Belle de Mai, autre lieu emblématique et branché de la cité phocéenne et depuis l'an dernier, pour le plus grand plaisir de tous, dans la chapelle néoclassique du lycée Thiers, côté prépa, la chapelle des Bernardines, au coeur de la ville, à côté du cours Julien, de la Canebière, non loin de l’Alcazar et du Vieux Port . Un festival désireux de s'ancrer dans la région SUD (on ne dit plus PACA) et de faire découvrir des musiques inouïes ici.

L'ami Xavier Prévost a rendu compte des concerts des deux premières soirées. Je partage son enthousiasme pour les deux concerts de jeudi soir  (ma première soirée) le formidable "The Emovin Ensemble" qu'Andy Emler nous présenta avec son humour et sa pédagogie particuliers. Création, musique commandée par l'ami et partenaire "Tcham" du Mégaoctet. Un hommage au mouvement, dynamique fondamentale de la vie. Avec l' é motion évidemment.

Un nouveau groupe est né avec ces 5 superbes solistes autour du pianiste : Dominique Pifarély, Eric Echampard, Mathieu Metzger et  Sylvain Daniel.

Quant au concert de la première partie, il s'articule autour de la musique du compositeur allemand Hans Werner Hemze, c'est à un travail d'arrangement pour son quartet, The Henze Workshop" que s'est livré le saxophoniste Stéphane Payen, à partir des neuf pièces ou courts mouvements originaux, "Sérénades". Un concert en miroir avec la  contrebassiste Charlotte Testu, révélation de la soirée.

 

Samedi 29 septembre

AUTOUR DE JOHN CAGE

LE QUAN NINH SOLO (19h00)

Voilà bien une musique que je n'écoute pas naturellement,  programmée ce soir dans le cadre de la chapelle des Bernardines à l'acoustique exceptionnelle. Quand on évoque la musique contemporaine, on tombe vite dans des clichés, inaudibles ces sons frottés, nouveaux, mystérieux? Sérielle, répétitive, concrète, minimaliste, comment la qualifier? Il y a tellement de variétés possibles qu'il est sans doute utile d'avoir quelques éclaircissements. 

Pendant une heure environ, quatre pièces seront présentées par le percussionniste qui ne dit mot, que l'on sent extrêmement concentré, autour d'un dispositif centré autour d'une grosse caisse, d'un triangle monté sur un axe muni de deux micros et d'une caisse claire.

Comme à chaque fois que je suis confrontée à ces musiques expérimentales et contemporaines (pièces de la fin des années 80), j'essaie de suivre les mouvements du musicien, de comprendre ce qu'il fait, d'analyser ses gestes, la façon dont il bouge et anime ses instruments (cymbales, baguettes, pommes de pin, bols), de définir ce que j'entends: crissements, chuintements, frottements, stridences, effleurements, froissements, frémissements....variant en intensité,  en volume, fréquence, durée. Il me semble paradoxalement que j'entends mieux les yeux fermés, immergée dans ce son qui ne me paraît pas naturel pour autant. Il ne provient pas de la rue, il n'est pas fabriqué par accident mais construit par un processus que je ne comprends pas. Qui correspond cependant à une performance, un voyage au coeur du son plus que du souffle (je repense à Scelsi par exemple). 

La pièce autour du triangle me frappe, elle dure très longtemps me semble t-il : je me demande comment le musicien arrive  à jouer sans s'arrêter, en frappant de petits coups secs avec une sorte de stylet, sur l'un des côtés du triangle, l'autre main maintenant immobile l'autre côté. Ce bruit répété nous immerge dans des harmoniques étranges qui restent supportables cependant.

Le concert fini, je me prépare à sortir alors que des spectateurs passionnés venus pour entendre du Cage, s'approchent de la scène et commencent à poser des questions au percussionniste. Je les rejoins et j'ai alors la réponse à certaines de mes interrogations. 

La pièce qui m'a fascinée est une composition d' Alvin Lucier (1988), pionnier dans le domaine de la performance instrumentale, avec notamment une notation rigoureuse des gestes des instrumentistes. Il brode ici une variation très précise autour d'une évocation d'un tramway. Soudain, je visualise ces bruits secs, tintements précis et incessants, j'entends Judy Garland évoquer la cloche dans "TheTrolley Song"de Meet me in Saint Louis de Vincente Minelli. Etrange rapprochement de temps et de musiques.

La pièce de LUCIER qui dure 15 minutes est dirigée selon un mode opératoire très précis qui dicte et impose des contraintes : jouer sur l'alternance de 5 paramètres, en n'en variant qu'un seul à la fois, toutes les 20 ou 25" : il s'agit du temps, de la vitesse (320 à la minute), de l'étouffement ou amortissement du son ("damp" en anglais), du "damp location" (à savoir l'emplacement des doigts pour étouffer le son), du "beater location" (la position de la batte). Pour jouer du triangle, le percussionniste dispose d'une batte, court stylet précis, oblique à un bout. Travail qui demande une concentration extrême, un calcul mental incessant pour effectuer les changement imposés. Il nous avoue d'ailleurs s'être trompé sur la fin d'une pièce, introduisant ainsi une entropie tout à fait regrettable. Évidemment, lui seul a pu le noter... Cette musique sérieuse suit des règles implacables, "oulipo" transposé où la fantaisie pourrait se glisser, tout en restant sensible au son en tant que phénomène physique. S' il s'agit de jouer avec les contraintes pour créer des résonances et sensations inédites, l'improvisation ne peut-elle pas suivre divers chemins, donnant place à un autre univers de possibles?

Lē Quan Ninh sort aussi la partition de John Cage intitulée Composed improvisaton for Snare Drum Alone (1990) et un coup d'oeil rapide montre la complexité du modèle.

Seules les pièces sur la grosse caisse sont des improvisations qui sont élaborées avec soin, selon une gymnastique parfaite. Où le musicien devient athlète du geste. Et non plus seulement artiste peintre du son.

 

REGIS HUBY BIG BAND

"THE ELLIPSE" (21h00)

Quel plaisir de retrouver le violoniste Régis HUBY avec ce nouveau projet, présenté pour la première fois à Malakov l'an dernier, au Théâtre 71, Scène Nationale! Il a réuni une troupe, un big band de 15 partenaires formidables, qu'il a pu apprécier ces dernières années dans divers projets. C'est en effet en pensant à ces rencontres, ces bouts de vie partagés, ce cheminement commun qu'il a conçu cette pièce de près d'une heure quinze, gigantesque travail de composition architecturé avec le plus grand soin. Sa direction possède ce qu' il faut de tension, de passion pour emporter celle des spectateurs. 

Pour ces retrouvailles qui s'enrichissent de toutes les expériences traversées, il a envisagé des regroupements en unissons éclatants, des montées en puissance enivrantes jusqu'au vertige mais aussi des parcours fragmentés, lignes de fuite comme dans les solos si différents des deux guitaristes  (sur les bords supérieurs de la scène en amphithéâtre), le délicat travail "folk" qui raconte toujours une histoire, de Pierrick Hardy sur guitare acoustique et les sorties de route toujours intenses, précises de Marc Ducret, que Régis Huby qualifie de "soliste concertiste".

Tous se retrouvent avec un plaisir évident pour servir la musique qu'ils aiment, celle de Régis Huby en l'occurrence, le grand ordonnateur de cette ellipse musicale. Une forme circulaire,  en tension et détente, avec reprises, variations, répétitions subtilement décalées...Il est "très reichien" me confiera backstage Guillaume Séguron, tout en soulignant la vitalité, le lyrisme de cette écriture pleine, dense, presqu'opératique (on peut penser à des envolées verdiennes) qui travaille sur l'épuisement des motifs rythmiques entre écriture continue et giclées d' improvisation. Un travail soigné, cohérent, édifié sur la recherche des timbres, couleurs et textures qui s'emboîtent selon la forme d'une suite en trois mouvements, avec un scherzo au centre. De toutes les manières, Régis Huby a pensé à chacun, leur laissant ainsi donner la pleine mesure de leur talent.

Quand on entre dans la salle, on est saisi par la taille de l'orchestre et la disposition particulière des pupitres étudiée pour que tout converge vers les basses, le grave et une certaine frénésie rythmique : ainsi pour la première fois, le tromboniste Matthias Mahler est au centre du plateau.

Seul cuivre de l'ensemble, il apporte la chaleur, l'opulence et le moelleux de la chair, serré de près par la clarinette basse, profonde (Pierre François Roussillon). Derrière lui, le vibraphoniste et marimbiste Illya Amar joue un rôle moteur dès l'ouverture, s'élançant d'un instrument à l'autre, plus impressionnant encore que le batteur Michele Rabbia, renfort puissant.  Au dernier registre, les deux contrebasses côte à côte, solidaires et complémentaires jouent alternativement en pizzicati et à l'archet (Guillaume Séguron et Claude Tchamitchian). Doubler certains instruments pour étoffer les graves, assurer l'assise, le socle de l'orchestre. Mais étoffer n'est pas répéter, les guitares ne jouent pas le même rôle, la clarinette claire et joueuse de Catherine Delaunay ne se confond jamais avec le son insolite du flûtiste Joce Mienniel modifié par les effets contrôlés aux pédales. Il agit souvent en interaction avec Bruno Angelini, souple transformiste au piano, fender et litlle phatty, dans des duos poétiques, privilégiant fluidité et énergie.

Si on peut penser à un orchestre symphonique, la répartition est originale, les cordes étant limitées aux seules présences vibrantes du violon, alto et violoncelle, respectivement Régis Huby, Guillaume Roy et Atsushi Sakaï (compagnons du quatuor IXI).

Vous l'aurez compris, on ne saurait trouver meilleure façon de terminer le festival avec ce concert euphorisant. On n'a pas pu quitter le plateau des yeux et l'on sort un peu sonnée, mais totalement réjouie. Comme dans toutes les fins de festival, nous nous attarderons longtemps autour de petites tables, en un salon improvisé, dans la nuit douce qui remue, à parler du concert, les musiciens improvisant de petites "masterclasses" décontractéees pour nous tous, public, photographes, rédacteurs, organisateurs, amateurs. Un "debriefing" amical et chaleureux : il y eut dans cette oeuvre, quelque chose d'insaisissable, de libre et de créatif, quelque chose de contagieux dont les musiciens se sont emparés avec délectation.

Un de ces moments rares que l'on aime à partager. Vivement l'édition prochaine...

Sophie CHAMBON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires