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14 octobre 2018 7 14 /10 /octobre /2018 19:46

 

Edward Perraud (batterie, compositions), Bruno Chevillon (contrebasse), Paul Lay (piano)

Malakoff, janvier 2018

Label Bleu LBLC 6726 : l'autre distribution

 

Quand un batteur-percussionniste-compositeur, et amateur de concepts autant que de sensations, envisage le très canonique trio de jazz (piano/basse/batterie), que peut-il imaginer ? Dans le cas d'Edward Perraud, l'espace est (grand) ouvert. D'abord il s'entoure de partenaires du plus haut vol, quoique de générations distinctes. Ensuite il plonge dans les méandres de son esprit, lesquels (à la faveur d'un rêve.... réel ou rêvé, le rêve ?) lui suggèrent un itinéraire conceptuel par exploration systématique des 12 intervalles possibles dans une gamme chromatique. Joli concept, joli projet, qui va se déjouer de toute emprise formaliste. La musique est limpide, le déroulement au fil des plages plein de surprises, mais aussi de cohérence dans le cheminement : pas de formalisme mais une forme ! Si la première plage commence par la batterie seule, cela ne dure que sept secondes, le temps d'installer un rythme à multiples rebonds sur lequel les trois compères vont s'amuser, en toute créativité, sur un canevas qui paraît d'une évidente simplicité. Tout sera à l'avenant : vivant, sensuel, jusque dans les phases les plus sophistiquées. Dans le texte d'accompagnement, Edward Perraud apparente Monk à la théorie de la relativité, à propos de la composition intitulé Space Time. Et l'on est bien tenté de le suivre dans cette digression plus esthétique que scientifique car l'intervalle de septième mineur, quand le cymbale installe un temps qui paraît absolu, va mettre du relatif, et de la relation, dans cette cosmogonie : un nouveau monde sonore (qui croise furtivement Monk en chemin) se crée sous nos oreilles étonnées. Et la plage suivante, Tocsin (l'une des rares à être commentée par le compositeur-batteur dans le livret du CD), va offrir une autre interprétation de l'espace, celui, écrit-il «qu'il y a entre le battant de la cloche et la cloche, la baguette et l'instrument, le marteau et la corde, le doigt et la touche». Ce sera aussi l'occasion, après presque une minute d'un espace sonore défini par la percussion seule, puis par le trio, d'un solo à l'archet, très sombre, de Bruno Chevillon. Sombre aussi sera la dernière plage, Singularity, également évoquée par Edward Perraud comme «le trou noir -dénommé ''singularité en sciences'' – qui n'est ni trou ni noir […]. L'idée de la mort elle-même ne résiste pas à cette irréfutable, inexorable attraction». N'allez pas croire que tout le disque s'enferre pour autant dans une spirale dépressive : L'âge d'or, qui commence comme un thème simple en majesté, à la façon du thème royal de L'Offrande Musicale (de Bach), va se métamorphoser en une sorte de chanson lente et lumineuse. Just One Dollar, par escalade de demi-tons, va nous conduire vers un espace sériel. Melancholia, après un roulement de tom, va nous donner l'illusion de cheminer autour du minuit de Thelonious Monk, mais c'est déjà ailleurs que la musique nous entraîne. Comme ses comparses déjà cité, Paul Lay s'insère magnifiquement dans cet univers où la finesse et la subtilité fond bon ménage avec le plaisir, palpable, du jeu : une belle leçon de trio, en somme, selon des règles rénovées par l'imagination. Et le livret présente des photos du leader, artiste polymorphe dont l'œil est aussi acéré que l'oreille !

Xavier Prévost

Le trio est en concert le 15 octobre 2018 à Paris, au Studio de l'Ermitage, et il sera le 15 mars 2019 au festival d'Amiens

Paroles du compositeur, et musiques, sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?v=wpIenUHtRXo

https://www.youtube.com/watch?v=UtiQAs2qxpA

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