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27 janvier 2019 7 27 /01 /janvier /2019 13:05

 

Repères biographiques :

 

Né à Bourges en 1987, Géraud est le petit dernier d’une fratrie de trois frères dont les deux premiers étaient musiciens, l’un batteur (futur avocat), l’autre pianiste (devenu chanteur lyrique d’opéra). Voyant Géraud intéressé, le premier lui mit une basse électrique entre les mains vers l’âge de 7 ans et tous deux l’initièrent à la musique des Beatles et autres Deep Purple, Led Zepelin, Doors … et bien d’autres musiques.

Les préférences de Géraud allaient plutôt vers la batterie et les percussions, mais son frère ainé lui fit comprendre que la basse était plus intéressante, en particulier dans le métier, où l’on manquait souvent d’un bassiste.

 

Sa première découverte du jazz : à son collège, à son entrée en 6ème, le professeur de musique avait créé un Big Band avec d’autres professeurs et élèves, et écrivait tous les arrangements (en particulier les lignes de basse), sur de courtes pièces (d’environ 3 mn) de Gleen Miller, Count Basie …. L’essai qu’il lui proposa fut concluant ! C’est là qu’il se liera d’amitié avec le pianiste qui sera l’inséparable compagnon de ses futures aventures musicales : Étienne Déconfin*.

 

Une révélation pour l’adolescent qu’il est devenu : la musique de Miles Davis et John Coltrane (surtout l’époque du quintet et du sextet, de ‘Kind of Blue’), pour laquelle son second frère se passionnât ! Il découvre à cette occasion la beauté de la contrebasse et supplie ses parents de lui en payer une. Par prudence on commencera par lui en louer une et l’inscrire au conservatoire de Bourges (et à son Big Band). Sa fréquentation assez peu assidue du lieu lui permettra cependant d’y suivre une certaine initiation théorique et de découvrir beaucoup de musiciens et de professeurs.

 

De fait, après son bac (passé machinalement), Géraud ne glanera aucun diplôme ou titre musical particulier pendant sa période formatrice, ne fréquentera jamais la Berklee School de Boston ou quelque autre école prestigieuse de musique, le seul titre qu’il ait gagné étant celui d’exploitant forestier, lors d’un épisode Lozérien, sur la terre de ses ancêtres, en 2013, où il répondit à l’appel de la nature, (parenthèse ouverte après son dernier long séjour à New-York et entre les enregistrements de ses deux premiers albums)

 

 

Dernières Nouvelles du Jazz (DNJ) : Peux-tu nous parler de ton expérience américaine ?

 

Géraud Portal (G.P.) :

 

New-York : j’y ai passé deux ans en six ou sept séjours.

 

Pour le premier, j’y étais invité par David S. Ware, sax ténor free décédé il y a quelques années, (protégé de Sonny Rollins, à l’époque des disques au Vanguard), venu donner à Bourges un concert et une master class de 3 ou 4 jours, organisés par le conservatoire. Mon prof. de jazz m’y avait inscrit (j’avais 14 ou 15 ans), et David, constatant ma motivation pour la liberté de la musique qu’il professait, m’avait invité à venir étudier avec lui pendant l’été à Big Apple. Mes parents m’ont payé le billet d’avion et je suis resté un mois et demi avec David, qui m’a fait connaître William Parker, (un disciple de Garrisson) … premières connexions, avec des musiciens témoins de l’époque des Lofts New-Yorkais (Rachid Ali, Cecil Taylor, Cooper Moore … toute cette génération de musiciens d’avant-garde qui idolâtraient Coltrane, Archie Shepp, Albert Ayler).

 

En 2012, je partageais mon temps entre le Berry et Paris, où je jouais avec Gaël Horellou, que j’avais connu, étant lycéen, avec François Gallix, (autre membre du collectif Mû), à un stage de jazz organisé par le Crescent de Mâcon. C’est lui qui m’a mis en contact avec Ari Hoenig qui cherchait un contrebassiste pour l’accompagner lors de ses apparitions européennes. Il m’a d’abord proposé quelques dates dans des clubs new-yorkais pour rôder le répertoire, et c’est au cours de ce nouveau séjour que j’ai fait la connaissance du contrebassiste Bill Lee (le père de Spike), et de trois jeunes musiciens qu’il hébergeait dans le quartier de Fort Greene : Arnold Lee, Ben Solomon et Kush Abadey, (tous trois membres, par ailleurs, du groupe de Wallace Roney).

 

Quand je suis revenu à l’automne pour travailler avec eux, Étienne* est venu nous rejoindre. J’étais à l’époque en pleine période Coltranienne (celle d’A Love Supreme), et c’est à ce moment-là que j’ai écrit plusieurs titres et que tout s’est mis en place pour permettre l’enregistrement en quintet de mon premier album, « Fort Greene Story » (Studio Systems Two -Brooklyn- en janvier 2013).

 

Avant même que la tournée française de promotion ne débute, Etienne et moi nous sommes remis à l’écriture pour un second album, « Brothers », (qui sera enregistré en décembre 2013 avec Kush Abadey à la batterie et Ben Solomon -sax ténor- en invité spécial au studio Peter Karl –Brooklyn-).

 

DNJ : Quelle a été ta principale influence musicale ?

 

GP : Entre 13 et 20 ans, je n’ai pratiquement écouté que la musique du quartet de Coltrane, surtout la période Impulse, (Crescent, A Love Supreme, tous les Live … ).

 

Une curiosité pour ce quartet, l’édition récente (2018) d’un inédit (Both directions At Once, The Lost Album -Impulse-), qui n’est pas un vrai album, mais l’édition de prises de travail de studio.

Il faut se souvenir que Trane n’avait pas autorisé la sortie de « Transition » de son vivant, ne jugeant pas l’album d’un niveau suffisant ! (Je laisse réfléchir sur le niveau d’exigence du Monsieur).

 

Après, ce fut l’intérêt pour le quintet, avec Alice Coltrane et Rachid Ali, contemporain de la période où j’ai travaillé avec David S. Ware.

 

DNJ : Mais encore ?

 

GP : En fait, celui qui m’a fait véritablement découvrir le jazz dans son entièreté, c’est Barloyd**, dont la discothèque est une mine de découvertes ! Tu arrives chez lui : tu ne connais pas ça ? Ni ça ?? Assieds-toi, je te fais écouter ! Des nuits blanches sur le canapé, à écouter des disques, des vinyls … Quel complément à mon intérêt premier pour Coltrane et l’avant-garde américaine, pour Mingus, Roland Kirk et Eric Dolphy !

Et par là, je me suis recentré sur des bases Bop, et adore jouer avec des partenaires comme lui ou Luigi Grasso, avec qui j’apprends tous les  jours. En fait, ce qui est fascinant dans le Bop, c’est toute l’architecture de la musique qu’il véhicule ; c’est comme dans la musique de Bach, et il n’y a pas une si grande différence entre la musique de Parker et celle de Bach. Dans les deux cas, tu as l’impression d’être devant une cathédrale ; la seule différence, avec Bird ou avec Ornette, c’est que tu as en plus le cri des noirs américains, le cri du Blues.

 

Avec Barloyd, donc,  la découverte de l’Histoire du Jazz et de ses monuments (le plus grand musicien de jazz n’est pas un homme : c’est Mary Lou Williams, -voir son évolution des Twelve Clouds of Joy d’Andy Kirk au concert de Carnegie Hall 77 avec Cecil Taylor- … etc) : le jazz est un univers entier, tu y entres par une porte, et tu y navigues en fonction de tes affinités.

 

Cela dit j’aime beaucoup la musique classique et contemporaine, les chants grégoriens (intérêt que je partage avec Luigi) et la musique du Moyen Age, souvent une musique de prière. Il y a de toutes façons une musique pour tous les moments de la vie, une musique pour danser, une pour prier, une pour méditer … d’ailleurs David  S. Ware pratiquait la méditation transcendantale, s’intéressait beaucoup à l’Indouisme et au Bouddhisme, récitait des mantra le matin dans sa salle de musique….

Le grand rêve de Trane, vers la fin, était de monter une fondation pour les jeunes musiciens, dont le titre serait ‘Musique et Méditation’. C’était l’aventure spirituelle centrée sur l’Inde et le Japon, après le rêve africain fantasmé et avorté de nombre de musiciens africain-américains.

Alice Coltrane (disparue en 2007) avait poursuivi sur cette voie et créé un ashram en Californie (qui a brulé récemment).

 

DNJ : Un rêve secret ?

 

GP : Jouer dans le quartet de Trane à la place de Garrisson, avec Elvin et McCoy !

 

 

DNJ : Une réflexion particulière sur l’évolution du monde de la musique ?

 

GP :  les labels ont compris que pour exister, un musicien a besoin  à un ou des moments donnés de créer un, deux ou trois albums, pour marquer sa progression, avoir un coup de projecteur particulier, passer dans une ou des émissions de radio, travailler avec la presse. Ce n’était pas forcément la même chose auparavant, et si tu demandes par exemple à Alain Jean-Marie combien il a enregistré de disques, il ne saurait peut-être pas te le dire : à l’époque, et c’était le truc, les gens venait lui demander d’enregistrer et il y allait.

A l’heure actuelle, le musicien est beaucoup plus impliqué dans la démarche, et ne pense plus qu’à ça pendant les six ou huit mois qui précèdent la production de son projet ; c’est son bébé, qui va jalonner son parcours : c’est une pierre de plus dans l’édifice qu’il construit. Le but du jeu est de progresser, et, à un moment donné, de faire une belle photographie de ce qu’il fait, et aussi , pour l’occasion, d’inviter, de rencontrer un ou des musiciens étrangers que l’on entendrait sinon pas. A l’arrivée, c’est plus une satisfaction de musicien que de businessman, car il se vend beaucoup moins d’albums qu’auparavant.

 

Après il y a une question de catégorie d’instruments : quand tu es batteur ou bassiste, tu n’as pas trop de problème pour travailler si tu as un niveau suffisant, (tu peux même choisir tes engagements). C’est complètement différent pour les soufflants, par exemple, (trompettistes, saxophonistes), qui passent leur vie à travailler leur instrument et à peu ou moins jouer.

 

 

DNJ : Quelques réflexions particulières sur ton troisième album (Let My Children Hear Mingus),  sorti en 2018 ?

 

GP : Pour ce projet, j’ai fait des relevés sur les disques de Mingus, mais j’ai confié toutes les orchestrations à César Poirier, qui sait le faire, et vite, et qui en a beaucoup plus la compétence que moi …

Sinon, cela a été l’occasion  de recréer un son, un propos commun faisant référence à ce qui avait été élaboré dans le workshop de Mingus, au gré des alliances d’identités stylistiques différentes qui en avaient fait la richesse.

 

Le fait d’être entouré de musiciens venant d’horizons divers, Luigi Grasso érudit du bebop, Kush Abadey qui à l’histoire de la batterie afro-américaine avec lui (fils et petit-fils de batteur de jazz), Vahagn Hayrapetyan pianiste Arménien, mentor de Tigran Hamasyan, m’a permis de donner un visage nouveau à l’interprétation de la musique de Mingus.

 

Le maitre mot est : Freedom !

 

DNJ : Depuis la rentrée de septembre, tu fais partie d’un sextet-septet en résidence au Duc des Lombards à Paris ; comment est né ce projet ? En as-tu d’autres sous le coude ??

 

GP :  Ce projet est né en collaboration avec Sébastien Vidal

L’idée est d’avoir un orchestre maison et de jouer 2 soirs par mois la musique de nos héros !

Nous avons commencé avec Cannonball, Woody Shaw…affaire à suivre !!!

 

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* Étienne Déconfin, pianiste.

 

**Barloyd : alias Laurent Courthaliac, pianiste.

 

©photo Philippe LEVY-STAB

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Discographie sélective :

 

En leader :

 

Fort Greene Story (Gaya), 2013.

Brothers ( Gaya), 2015.

Let my children hear Mingus ( Jazz Family), 2018.

 

En sideman :

 

Gael Horellou Trio « Segment » ( Petit Label), 2010.

Gael Horellou Sextet «  Live » ( DTC), 2011.

Etienne Déconfin « Elements » ( Black and Blue), 2014.

Simon Chivallon «  Flying Wolf ( Jazz Family), 2018.

 

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Collaborations :

 

Anciennes :  Gael Horellou, Ari Hoenig, Étienne Déconfin, Ben Solomon, Arnold Lee, Simon Chivallon …

 

Récentes : Kush Abadey, Vahagn Hayrapetyan, Jacky Terrasson, Jazzmeia Horn, Stéphane Belmondo, Ali Jackson, Laurent Courthaliac, Luigi Grasso, Baptiste Herbin …

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