JACQUES PONZIO MONK ENCORE
EDITIONS LENKA LENTE
Avec une préface de Thieri Foulc
www.lenkalente.com/product/monk-encore-de-jacques-ponzio
Encore un livre sur Monk?
Jacques PONZIO persiste et signe un nouvel ouvrage sur Monk aux éditions LENKA LENTE, après son Abécédaire The ABC-Thelonius Monk- ABC dans la même collection, en 2017. Ce sera Monk encore. Chez ce neurologue de formation, devenu psychanalyste, pianiste et leader de l’African Express trio, Monk est une passion, une obsession. Découvert dans les années 60, il suit le pianiste dans une quête quasi existentielle et un travail d'écriture dont une première étape fondatrice sera l’ouvrage Blue Monk co-écrit avec François Postif, publié chez Actes Sud en 1995. Comme le suggère l’un des amis, Jean Merlin,dans une savoureuse contribution, s’il était américain, PONZIO passerait pour le spécialiste mondial de T.S.Monk. Tant il est vrai qu’il n’en finit pas de creuser le même sillon, de tourner dans sa tête certaines interrogations sur le mystère, le génie musical de T.S.MONK, sa vie, sa supposée folie. En fin limier, il trouve de nouvelles pistes, des indices qui justifient ses recherches, renforcent ses intuitions, son ressenti. Qui peut mentir bien sûr, mais le lecteur n’en a que faire, au fond, il suit ou pas, les méandres de cette analyse jusqu’à la conclusion. Certainement pas né fou, Thelonius Monk a mené une existence dont certaines circonstances ont entraîné des comportements que l’on a pu taxer de folie. Le projet de l’auteur est de préciser voire de contrarier ces affirmations.
En véritable monkien, Jacques Ponzio commence par revenir sur la musique extra-ordinaire du pianiste en analysant les compositions “Chordially”, Rhythm-a-ning”, après l’incontournable“Round Midnight”, tentant une fois encore de passer au crible musicologique les concepts de rythmes, harmonies et mélodies. Monk a souvent ravi les néophytes tant il est spectaculaire à voir, si ce n’est à entendre, bouleversant les codes au sein du be bop, pourtant révolutionnaire. Il fait, aujourd’hui du moins, l’unanimité au sein des jazzmen, de nombreux jeunes musiciens reprenant ses compositions, devenues des standards. Il est une icône dont la vie est romanesque, énigmatique de ses silences jusqu’à sa relation étrange avec sa bienfaitrice, la baronne Nica de Koenigswarter.
Et pour le plus grand plaisir de l’auteur de ce livre, Monk qui aurait eu cent ans en octobre 2017, lâche encore des trésors, vu les récentes parutions d’inédits du festival de Newport ou de sa B.O des Liaisons dangereuses de Vadim. On peut avoir l’impression que tout a déjà été dit, écrit, depuis Yves Buin, psychiatre, critique de jazz et spécialiste de biographies. Ponzio lui n’est jamais allé voir ailleurs. Il apprécie R.D.G. Kelley, Thelonius Monk, The Life and Times of an American Original, Free Press, 2009 et n’oublie pas l’autre auteur français sur Monk, le pianiste Laurent de Wilde, mais pour citer l’une de ses considérations : "Oui, fou. Monk est fou”. Ce qui, en fait, ne lui plaît pas tant que ça, puisque son sujet est de s’interroger sur la prétendue déviance du pianiste. Si Monk est constamment "limite", son attitude prêtant à des jugements rapides, on voit comment le moindre “détail” peut se renverser dans la démonstration ponzienne : des bagues qui contrarieraient son jeu pianistique, photo à l'appui, le comparant à la figure extravagante de Liberace à sa collection de chapeaux (délicieuses dernières pages sur ce singulier Mad Hatter). Le lecteur se régalera aux découvertes de ce Sherlock “addict” à son sujet de recherche. On apprécie ainsi certains rapprochements qui ajoutent à l’histoire de la musique noire ou de la ségrégation. Le titre de “ Round Midnight” serait ainsi inspiré de la composition de Cab Calloway au Cotton Club “Long about midnight”, intégrant Monk dans une lignée. De même, la formidable pochette de Solo Monk,CBS 1965, qui représente le pianiste en aviateur, est une référence directe au saxophoniste et chef d’orchestre Jimmy Lunceford, Takin’off with Jimmie. Et l’on apprend qu’il a existé une escadrille de pilotes noirs, Tuskegee experiment, que Lena Horne, militante de la cause noire, soutenait. La très célèbre pochette d’Underground, son dernier album pour Columbia, en 1968, où Monk pose en activiste FFI n’est pas non plus une lubie, une excentricité de plus. Ce qu’il faisait ou décidait provenait ainsi d’un cheminement intérieur très pertinent, incompréhensible peut-être mais logique à sa façon.
Le livre, petit mais dense, se présente sous forme de courts chapitres aux titres soignés, souvent ludiques, agrémentés d’interludes photographiques, d’interventions de copains, tous amateurs éclairés de Monk. Ces fragments s’appuient sur une réflexion ressassée certes mais toujours augmentée de véritables trouvailles, puisées souvent sur internet. A cet égard, les notes de lecture fournissent ainsi une sitographie originale et transdisciplinaire ( comme par exemple, le rapprochement avec l’architecte Mies van der Rohe, l’auteur du fameux “Less is more”, formule qui s’applique au style du pianiste).
Ainsi Jacques Ponzio livre un portrait des plus attentifs du pianiste dont chacun de ses livres apporte une nouvelle pièce, complètant le puzzle, l’image de l’”eremite”.
Sophie Chambon