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12 juin 2019 3 12 /06 /juin /2019 07:43

38 ème Edition de Jazz Sous les Pommiers
                            (24 mai-1er juin 2019)

C’est toujours un grand bonheur d’être présent à Coutances pour le festival « Jazz Sous Les Pommiers » où la programmation est particulièrement passionnante, en étant à la fois exigeante et ludique, singulière et surprenante, et toujours formidablement excitante. J’y ai vu beaucoup de concerts entre le 29 et le 31 mai et j’ai malheureusement loupé le début du festival (Franck Tortiller, Jacques Schwarz-Bart, Angélique Kidjo, Kneebody, The Amazing Keystone Big Band, Laurent de Wilde, Philippe Catherine), ainsi que la toute fin (Yaron Herman, Andy Emler & Dave Liebman, Magic Malik, Ron Carter, Joce Mienniel).
Le 29 mai à 16h dans la chapelle de l’hôpital de Coutances, le public a vécu un grand moment d’émotion lors du concert solo du contrebassiste Claude Tchamitchian. L’exercice est particulièrement difficile, mais Tchamitchian a beaucoup de choses à nous dire et beaucoup de sentiments à nous faire partager. L’art de la narration musicale est parfaitement maitrisé de bout en bout, Tchamitchian sait nous raconter des histoires où virtuosité et chaleur humaine font bon ménage. L’association entre le saxophoniste américain Joshua Redman  et le trio luxembourgeois Michel Reis/Marc Demuth/Paul Wiltgen a été à la hauteur des espérances. Quelle chance pour ce trio de pouvoir explorer leurs compositions avec une voix supplémentaire portée par l’immense talent du saxophoniste californien. Beaucoup de frissons et d’empathie pour ce très beau projet !
A 23h au Magic Mirror a eu lieu une très intéressante création de la résidente des lieux, la batteuse et compositrice Anne Paceo, autour d’un projet à la frontière du hip-hop, du jazz, du rock, et du groove, avec la complicité du guitariste Matthis Pascaud (grande révélation de ce groupe, musicien vraiment très impressionnant !), du bassiste Sylvain Daniel (qui enchaîne son troisième O.N.J consécutif !) et de trois slammeurs enflammés dont le génial Mike Ladd, ainsi que Racecar, et Osloob. Anne Paceo nous a étonnés dans ce registre où elle a installé un groove implacable et binaire fortement musclé, porteur d’une belle énergie communicative.
Jeudi 30 mai, après un passage à la salle Marcel Hélie pour une cérémonie planante et pleine de virtuosité assurée par Le Mystère des Voix Bulgares, on se dirige vers le Théâtre pour l’un des plus beaux concerts de ce festival. Une création signée du Théo Ceccaldi Trio, avec Théo au violon, Valentin Ceccaldi au violoncelle et Guillaume Aknine à la guitare. Ce projet intitulée Django, est bien sûr un hommage à la musique de Django Reinhardt, mais ne comptez pas sur Théo Ceccaldi pour vous faire du copier-coller ! Voici une vision très intelligente et pertinente de l’héritage de Django à travers une musique actuelle et singulière, pleine de contrastes et de brisures, où l’on entend Django bien sûr, mais aussi Bartok, des bribes de rock, et du jazz improvisé servi par trois brillants solistes. Les versions impressionnantes de chefs d’œuvre comme Rythme Futur ou Manoir de Mes Rêves sont inoubliables et continuent de nous trotter dans la tête. Du grand art ! Retour à la Salle Marcel Helié pour un double concert particulièrement excitant. Tout d’abord une création très originale de la saxophoniste Sophie Alour intitulée Exils, pour une fusion réussie entre jazz et musique orientale avec la complicité du chanteur et oudiste égyptien Mohamed Abozekry, du pianiste Damien Argentieri, du contrebassiste Philippe Aerts, du batteur Donald Kontomanou (impérial tout au long de ce concert !), et du percussionniste Wassim Halal. Une très belle narration musicale, fine et élégante, où deux univers musicaux dialoguent et s’interpénètrent dans une formidable énergie portée par le talent de ces musiciens exceptionnels. En deuxième partie, une grande claque d’épure et de sobriété à travers le duo formé par la chanteuse Cécile McLorin Salvant et le pianiste Sullivan Fortner. Une belle surprise, car le répertoire joué n’avait pas grand-chose à voir avec leur album sorti en septembre dernier « The Window ». Cécile a profité de Coutances pour tester de nouvelles compositions quelle a écrites très récemment et qu’elle nous a proposés en avant-première avant de les enregistrer prochainement. On a retenu particulièrement : Moon Song, Splendor, Acmé, Doudou, Fuck, Left Over et un très émouvant Ghost Song qu’elle chante en duo avec Sullivan Fortner, qui en plus d’être un pianiste exceptionnel, s’avère être un très bon chanteur !
Il n’y a que « Jazz Sous Les Pommiers » pour nous présenter dans la même soirée, deux des meilleurs joueurs d’oud au monde, après la remarquable prestation de Mohamed Abozekry au sein du groupe de Sophie Alour, place au grand maître libanais Rabih Abou Khalil pour un nouveau projet qui réunit des musiciens de différents pays (Liban, Italie, Portugal, Turquie, U.S.A). Rabih est drôle et raconte entre deux morceaux de truculentes histoires qui font beaucoup rire le public de Coutances. La musique est riche et énergique, offrant une belle palette de couleurs musicales portée par la voix prégnante du chanteur portugais Ricardo Ribeiro, la flûte ney du turque Kudsi Ergüner, le saxophone et les prouesses vocales particulièrement gutturales de l’italien Gavino Murgia, l’accordéon chantant de Luciano Biondini, ainsi que par l’immense talent du batteur-percussionniste américain Jarrod Cagwin. Un petit tour à la Cave des Unelles pour écouter l’excellent sextette réuni par le contrebassiste Géraud Portal pour son projet autour des compositions de Charles Mingus. On y a entendu les sublimes Moanin’, Good-Bye Pork-Pie Hat ou Orange Was The Color of Her Dress, Then Blue Silk, ainsi que l’étonnant Parkerania avec Luigi Grasso, César Poirier, Quentin Ghomari, Yonathan Avishai  et Yoann Serra. A minuit et demi, c’est l’heure de filer au Magic Mirror pour venir écouter le projet électrique du trompettiste Avishaï Cohen, entouré de deux guitaristes : Uzi Ramirez et Yonathan Albalak et deux batteurs : Aviv Cohen et Ziv Ravitz. Une musique qui oscille entre jazz planant et rock énergique, et qui malgré l’instrumentation et le volume sonore, laisse un bel espace à la trompette lyrique d’Avishaï Cohen. Un concert qui nous a semblé inégal avec toutefois des moments fulgurants comme la relecture délirante d’une œuvre de Mozart ou la reprise du célèbre Teardrop de Massive Attack.
Le vendredi 31 mai à 14h au Magic Mirrors, nous avons pu apprécier une expérience sonore insolite portée par le trio du contrebassiste Théo Girard et son orchestre circulaire de 12 soufflants (8 saxophones et 4 trompettes). Le trio, composé de Théo Girard, du batteur Sebastian Rochford, et de l’excellent trompettiste Antoine Berjeaut, se tient au centre de la salle, tandis que les 12 soufflants entourent le public dans une disposition circulaire et mouvante selon les morceaux. Une mise en scène sonore passionnante au service d’une musique fortement expressive et joyeuse où le jazz cohabite avec l’esprit festif d’une fanfare. Peu après, au théâtre se produisait un duo de musiciens cubains tout à fait exceptionnels (qui vivent aux U.S.A et sont produit par Quincy Jones). Le pianiste Alfredo Rodriguez et le percussionniste et chanteur Pedrito Martinez sont deux virtuoses qui s’entendent à merveille et qui proposent une musique festive et dansante, parfois un peu démonstrative, mais toujours chaleureuse ! Puis vint l’heure d’une magnifique méditation musicale dans la cathédrale de Coutances où se produisait le duo du contrebassiste Yves Rousseau  et du saxophoniste Jean-Marc Larché. On a pu apprécier l’ampleur sonore de ce projet intitulé Continuum au cœur de la cathédrale avec un formidable travail sur l’écho, les résonnances, l’espace, et le silence. De très belles compositions fortement imprégnées de musique baroque qui nous ont fait tutoyer les anges ! Enfin le saxophoniste Pierrick Pédron, en très grande forme, a exploré dans l’enceinte du théâtre de Coutances le répertoire de son dernier album Unknown, entouré de trois jeunes musiciens du jazz français, fraichement sortis du CNSM, qui ne tarderont pas à faire parler d’eux : le pianiste Carl-Henri Morriset, le contrebassiste Etienne Renard, et le batteur Elie Martin Charrière. Un formidable quartette d’une grande musicalité sur un répertoire de compositions de Pierrick Pédron particulièrement sensibles et émouvantes.
Lionel Eskenazi.

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