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Plus qu'un rituel, presque une manie pour le plumitif qui fréquente le festival depuis plus de trente ans. Et chaque fois l'occasion d'un émoi automnal et ligérien (autrement dit kiffer les bords de Loire au 11 novembre !)
Le chroniqueur est arrivé après la soirée d'ouverture, celle du samedi 9 novembre, qui a commencé vers 18h30 au Théâtre municipal, et s'est prolongée dès 20h30 à la Maison (que la nomenclature officielle n'ose plus appeler 'de la Culture', alors qu'elle le mérite....). Élogieux échos des présents, tant à propos du Trio Viret au théâtre qu'au sujet d'Éric Le Lann-Paul Lay en duo, puis du quintette de Charles Lloyd à la Maison.... de la Culture ! On en profita pour honorer ce dernier dans l'Ordre des Arts et Lettres : ce dont, témoignent les présents, il fut ravi.
Le dimanche 10 novembre, c'est théâtre, avec une très belle surprise, un spectacle autour de Nina Simone par Ludmilla Dabo et David Lescot, spectacle qui a déjà beaucoup tourné dans les circuits théâtreux, et qui sera repris du 13 au 21 décembre à Paris au Théâtre des Abesses, dans le giron du Théâtre de la Ville. Le spectacle s'intitule Portait de Ludmilla en Nina Simone. L'auteur-metteur en scène (et aussi musicien) David Lescot ,est familier des connexions avec le jazz : que l'on se rappelle L'instrument à pression (avec Médéric Collignon et Jacques Bonnafé) et La chose commune (avec Emmanuel Bex, Élise Caron, Géraldine Laurent, Simon Goubert....). Ayant reçu commande d'un portrait de personnage célèbre, il souhaitait consacrer un spectacle à Nina Simone.
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©Maxim François
Il s'est mis en quête d'une comédienne également chanteuse et s'est tourné vers Ludmilla Dabo, laquelle dans ses années au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique, avait esquissé un travail autour de cette chanteuse qu'elle admire. De leur rencontre est né un dialogue, dont l'auteur a fait un spectacle, et qui évoque des moments de la vie de Nina Simone. Dispositif scénique minimal, et grande intensité dès la première minute. Dans l'obscurité, battements de pieds et claquements de mains distribuent rythme et syncopes. Puis en pleine lumière le partenaire-enquêteur et accompagnateur (guitare, ukulélé) interroge l'histoire de Nina : la comédienne répond en chantant, d'une voix magnifiquement habitée par l'âme de la soul music.
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©Maxim François
Ainsi se déroule, sur un rythme d'une précision incroyable, un échange entre un texte narratif, des dialogues, et des chansons tout aussi chargées d'histoire(s). C'est un tourbillon d'émotions fortes qui traverse la vie de Nina, sa vie de femme en butte aux violences de toute sorte, le naufrage de ses rêves de jeunesse (devenir la première concertiste classique noire des U.S.A.), mais aussi ses combats pour les droits civiques, le tout nourri de quelques chansons de la grande Nina, chantées sans aucun mimétisme (sauf le clin d'œil à Ne me quitte pas), mais à un niveau de vocalité et d'interprétation qui place la barre très très haut, et nous révèle en Ludmilla Dabo une grande chanteuse. Par une sorte de mise en abyme l'expérience personnelle de Ludmilla s'insère dans la dramaturgie, en parallèle à l'évocation des luttes afro-américaines.
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©Maxim François
Et en rappel un épisode époustouflant nous offre la grande scène d'Arnolphe et Agnès dans L'École des femmes de Molière, qui dérive progressivement de grande tradition du théâtre classique vers une version en prosodie syncopée, accompagnée par l'ukulélé, et soulignée d'une danse voluptueuse de la chanteuse comédienne : grand moment de liberté théâtrale, et de musique. Le Théâtre municipal de Nevers, belle salle à l'italienne, est assurément l'écrin idéal pour un tel spectacle. Et un festival de jazz l'endroit rêvé pour le faire découvrir. On rêverait que d'autres programmateurs de jazz aient aussi la bonne idée d'offrir à leur public ce très beau spectacle.
Le lendemain, promenade de santé par un 11 novembre qui s'ensoleille vers le théâtre (le concert de midi y a été déplacé). En chemin, l'arrière de la Maison (de la culture) en travaux.
Je passe devant la Maison des Sports, qui n'a pas peur de dire son nom (je me rappelle une commune où il y avait une direction des sports et de la culture, dans cet ordre....). En contournant le bâtiment en travaux, je découvre l'appellation désormais officielle.
En montant vers le Palais Ducal et le théâtre, je découvre cette appellation obstinée jusque dans la signalétique.
Et j'arrive enfin au théâtre pour découvrir sur scène le cymbalum de 'Bartók Impressions'. Le groupe a publié voici un an un CD justement remarqué («Bartók Impressions», BMC / l'autre distribution). C'est un trio en nom collectif, sans leader, mais le contrebassiste Matyas Szandai a imprudemment accepté un concert avec un autre groupe le même jour.... Pas rancuniers, ses partenaires le mentionneront en fin de concert pour rappeler que cette musique est celle d'un trio. Ce sera donc un duo : Mathias Lévy au violon, et Miklós Lukács au cymbalum.
Maxim François, à gauche, en chasseur d'images
Le concert commence vers 12h15. La musique s'organise autour des pièces de Bartók, librement traitées dans l'exécution comme dans l'improvisation. Elles sont empruntées au recueil de piano Mikrokosmos, et à diverses autres compositions, notamment celles inspirées à Bartók par les musiques traditionnelles balkaniques. C'est vif, emporté, l'échange entre violon et cymbalum est permanent, souvent ludique. Les modes de jeu sont assez libres, avec recours à des artifices dictés par l'urgence de l'improvisation.
À 15h30 c'est dans la petite salle de la Maison (de la culture....) que se produit le trio 'Un Poco Loco', rassemblé par le tromboniste Fidel Fourneyron, avec Geoffroy Gesser au sax ténor (et à la clarinette), et Sébastien Belliah à la contrebasse. Ils jouent leur nouveau programme intitulé Ornithologie, et consacré non aux oiseaux mais à Charlie 'Bird' Parker. C'est un pari que de jouer ce répertoire de manière innovante sans en altérer ni la densité musicale ni la force expressive. Pari gagné, haut la main, en déstructurant/recomposant chaque thème avec un mélange de fraîcheur et de science musicale qui force l'admiration. Chacun des membres du trio a contribué à l'arrangement du répertoire : Shaw Nuff, Anthropology, Salt Peanuts, Donna Lee, et bien d'autres, et aussi une très belle relecture du standard Everything Happens To Me inspirée par la version avec orchestre à cordes de Charlie Parker. Comme toujours avec le trio 'Un Poco Loco' un grand moment de musique, de prise de risque et d'expressivité.
Retour au Théâtre municipal vers 18h30 pour écouter le saxophoniste Éric Séva avec son nouveau groupe 'Mother of Pearl'. C'est un projet inspiré par la rencontre en 1974 de Gerry Mulligan et Astor Piazzolla. Le saxophoniste a fait le choix de l'accordéon plutôt que du bandonéon, en s'associant avec un musicien qu'il connaît de longtemps : Daniel Mille. Christophe Wallemme à la contrebasse, Alfio Origlio au piano (et piano électrique) et Zaza Desiderio à la batterie complètent le quintette. Les compostions originales du saxophoniste sont conçues sur mesure pour cette instrumentation, avec une dominante mélancolique, sans exclusivité toutefois. Deux thèmes de Piazzolla s'insèrent dans le programme. Et après une cavalcade collective en 6/8, c'est un duo accordéon-sax baryton sur une belle composition inspirée par le village d'Eus, dans les Pyrénées-Orientales, avant un quintette conclusif. Un disque, déjà enregistré, paraîtra au printemps prochain.
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©Maxim François
La soirée se termine à la Maison (de la culture....) avec le MegaOctet d'Andy Emler. C'est le programme anniversaire (30 ans!) d'un orchestre né à l'extrême fin de 1989, et dont la naissance officielle fut constatée en janvier 1990 au Sceaux What, aux Gémeaux de Sceaux (Hauts-de-Seine). Ce programme avait été inauguré le 12 octobre dernier lors d'un concert Jazz sur le Vif à la Maison e la Radio. Pour avoir assisté au deux concerts, j'ai été épaté par le fait que, jouant le même programme, l'orchestre a donné un concert différent, et toujours du même niveau musical, avec cette prise de risque et cette confiance mutuelle des musiciens qui font que, vraiment, tout semble permis. La première partie nous a donné le répertoire du disque paru à l'automne 2018 («A Moment For...», La Buissonne/Pias). Tous sont des solistes de haut vol, à commencer par les historiques, François Verly, percussions, et Philippe Sellam, saxophone alto : ils étaient tous deux dans le MegaOctet des origines. Claude Tchamitchian, contrebasse, avec Éric Échampard, sont les partenaires habituels du trio d'Andy Emler, et cela contribue largement à l'assise du groupe. Laurent Blondiau (trompette), FrançoisThuillier (tuba), Laurent Dehors (sax ténor et cornemuse), et Guillaume Orti (sax alto) complète l'équipe, et tous nous ont transportés par leur insolent liberté musicale.
Après l'entracte l'orchestre est rejoint par trois musiciens qui eurent partie liée avec l'histoire du groupe : le guitariste Nguyên Lê (qui était dans le MegaOtet à sa création), et les imprévisibles Médéric Collignon (cornet, voix, human beatbox....) et Thomas de Pourquery (sax alto et voix).
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©Maxim François
Ce fut un festival d'envolées périlleuses, de rétablissements virtuoses, et de surprises en cascade.
Tous les musiciens se sont éclatés, et le public en fut conquis. Rappel aussi insistant que chaleureux, et fin de soirée dans la joie d'un moment exceptionnel.
Xavier Prévost