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12 mai 2020 2 12 /05 /mai /2020 16:41
LITTLE LOUIS

 

CLAIRE JULLIARD

LITTLE LOUIS

ROMAN 240 pages

Sortie le 5 mars

LE MOT ET LE RESTE

www.lemotetlereste.com

 On sait que le jazz est un roman depuis Alain Gerber. Claire Julliard, journaliste littéraire et autrice entre autres de la biographie chez Folio de Boris Vian, reprend le flambeau et nous livre une histoire pleine de bruit et de fureur, un conte merveilleux qui aurait pu virer au tragique tant Little Louis n’était pas né sous les meilleurs auspices. Sa vie ne fut pas “a bed of roses” et l’ image de clown jovial qui lui collait à la peau, lui porta tort, lui qu’on accusait de servir la soupe aux Blancs. Quand on chante “Black and Blue”, on ne sourit pas tous les jours à la vie. Celle qui fait oeuvre de romancière, à partir de sources précises et du journal d’Armstrong, réécrit l’enfance du trompettiste, ses jeunes années, en 21 chapitres animés, à la façon d’un entretien, comme si Louis nous parlait. Depuis sa naissance supposée le 4 août 1900,  à Perdido, rue du quartier noir de la Nouvelle Orleans,  jusqu’à son départ en 1922 pour le Nord et Chicago afin de rejoindre son maître, celui qui lui a tout appris, King OLIVER, le roi du cornet! “Heaven, I’m in heaven” c’est le titre du dernier chapitre où, à 22 ans, il se croit arrivé au paradis! Les jeux ne sont pas faits pourtant!

Chez nous, c’était la nouvelle Babylone, le royaume du crime et de la dépravation” : on est tout de suite plongé dans une réalité sans fard, quand il découvre la rue, la violence mais aussi la fête comme tous les enfants pauvres, assis sur les marches de l’escalier de sa maison. Il fait très vite connaissance avec la ségrégation, les terribles lois Jim Crow, une expérience quotidienne de racisme ordinaire, même s’il refuse l’appellation d’Oliver Twist noir. C’est que la Nouvelle Orleans n’est pas Londres. A la fin de sa vie, il vivra dans un luxe (relatif), celui des anciens pauvres, mais il aura toujours la nostalgie des belles maisons blanches aux balcons de fer forgé, des effuves de magnolias, du District et de ses honky tonks, de Canal Street, des parades colorées, de la musique, des battles au coin des rues, des steamers qui remontent le Mississipi.

Chaque vie possède sa propre tonalité, son rythme. La mienne a commencé au son des fanfares de la Nouvelle Orleans. Ce sens de la fête culmine lors des enterrements, puisque la mort est le départ vers une vie meilleure, loin de cette ville poisseuse…. Il chantera plus tard, avec Billie Holiday, transformée en bonniche dans un horrible film made in Hollywood, sans aucun intérêt cinématographique, “Do you know what it means to miss New Orleans?” 

Dans Little Louis, on suit comment il fut envoyé très jeune, à 13 ans, dans une maison de redressement. Où comment un coup de pistolet, tiré en l’air, la nuit du Nouvel An 1913, changea l’avenir du jazz. Il fut littéralement sauvé par la musique, intégré dans la fanfare de l’établissement par Peter Davis, formation dans laquelle il occupera bientôt une place importante de cornettiste! Ce sera le début d’une longue carrière car il connaîtra vite le succès, la reconnaissance des autres musiciens et du public. Jusqu’à la fin. 

Roman de l’apprentissage, traversée initiatique, y compris de son éducation sentimentale, houleuse et compliquée, ce portrait vif et documenté se lit d’un trait, avec plaisir. On sera sensible à la manière dont l’auteur pointe ce qui constitue le talent, l’essence de l’art d’un musicien tout en resituant la naissance du jazz dans ce berceau sudiste.  La phrase de Philip Roth en exergue, “Let us remember the energy” s’adapte parfaitement au cas Armstrong: il a toujours su rebondir, s’adapter aux difficultés, célébrer la beauté du monde; il savait d’où il venait et ne l’a jamais oublié. Il n’a jamais perdu la joie de jouer et n’a donc jamais abandonné la pratique de son instrument, en dépit de sérieux problèmes de lèvres que connaissent tous les trompettistes, lui qu’on surnomma Satchmo “such a mouth”. Sa première trompette lui a donné comme une promesse de félicité, il en sortait ses sons vifs et moelleux, mais aussi perchés dans l'aigu, stratosphériques en final. Il pouvait jouer classique et ragtime, il était tellement virtuose et pourtant, il ne perdit jamais un trac intense d’où  ces images devenues des clichés, le montrant s’épongeant le front constamment!

On a un gros coup de coeur pour ce personnage formidable qui croyait en la vie et ne vivait (presque) que pour la musique. Bravo pour le travail de recherche de Claire Julliard, plein de tendresse pour ce génial défricheur, ambassadeur du jazz!

 

Sophie Chambon

 

 

 

 

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