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14 septembre 2020 1 14 /09 /septembre /2020 17:00
HUMAIR BLASER KÄNZIG  1291

 

HUMAIR BLASER KÄNZIG  1291

OUTHERE MUSIC/OUT NOTES RECORDS

On a toujours autant de plaisir à écouter le tromboniste Samuel Blaser, à le retrouver dans une autre configuration, cette fois un "jeune" trio des plus singuliers, avec une rythmique sensationnelle composée de Daniel Humair à la batterie et du contrebassiste Heiri Känzig.

Trois musiciens suisses dans 1291? Un titre qui n’évoquera pas grand chose aux Français, pas toujours à jour avec leur propre histoire et géographie. Alors celles des voisins....

Ce que l’on apprend, avec cet album, sorti sur le label Out There, c’est que la création de la vénérable Confédération helvétique, remonte à 1291.

C'est un salut enjoué, humoristique à la mère “patrie” des trois comparses, qui, sans reprendre les clichés attendus de Guillaume Tell, des chalets fleuris ou du chocolat, évitent au contraire les idées reçues, même si un chant  des alpages, remontant au folklore du XVIIIème, “Guggisberglied”, fait résonner les cors de montagnes et entendre les feuilles tomber! Le dernier titre est tout de même, “Cantique suisse”, l'hymne national, antienne chère à leur coeur. Il le fallait bien tout de même, vu que très symboliquement, nos “trois petits Suisses” polyglottes sont nés dans des cantons différents : le maître des baguettes, Daniel à Genève, Samuel à la Chaux de Fonds (comme Le Corbusier) et Heiri à Zürich (il maîtrise donc le “schwizerdutsch”, clin d’oeil suprême aux voisins teutons qui ne comprennent pas grand chose à ce dialecte grasseyant et plutôt rapide).

L’expression collective est intense, essentielle, dans ce trio “osmotique” à la formule instrumentale originale (trombone/contrebasse/batterie) avec une rythmique jamais surpuissante, qui soutient, sous tend et propulse le soliste. Mais qui peut aussi ronronner tout autant que le trombone, comme si les trois permutaient leurs places. Un exemple? Ce “7even”, où l’emballement progressif du batteur est soutenu par le chant du trombone, dans une grande fluidité.

Les quatorze petites pièces, courtes et virtuoses car concentrées pour faire ressortir les mélodies de ces traditionnels, reprises blues, ou originaux qui composent ce 1291, enregistrées en février dernier, au Centre Culturel Suisse à Paris, glissent dans l’oreille et la musique s’avale facilement à grandes goulées.

Samuel Blaser peut tout obtenir de son instrument, du growl le plus attendu aux stridences atonales elles aussi espérées. Il a une qualité rare, un son moelleux, pas forcément caressant. Il conserve ainsi une touche personnelle, travaillant au mieux sa tonalité, son timbre. Une envergure de soliste qui maîtrise le sens de la construction et du motif avec une énergie tranquille, que ce soit dans du Machaut ou du Ducret! S’il y a bien un grégorien, un duo contrebasse/trombone, “Grégorien à St Guillaume de Neufchâtel”, l’inspiration dominante vient du blues dont le trio arrive à restituer l’esprit, par une écriture “arrangée” qui sonne actuelle en faisant réécouter autrement ces gemmes de temps historiques. On part de l’“Original Dixieland One Step”, le préjazz blanc de 1917 pour arriver à Ory’s Creole trombone”, jusqu’à l’antépénultième composition commune, une synthèse “ Ory’s Original Creole Dixieland Trombone One step”. Le tromboniste retrouve les émois des fanfares, l’exubérance des premiers “Marching bands” néo orléanais qui plurent tellement à “Little Louis” (Armstrong) qui entendit un jour son maître, le roi du cornet King OLIVER. Pour Samuel Blaser, s’il doit laisser ses traces dans les pas d’un père, il s’est choisi Kid Ory. 

Les trois comparses tordent le cadre de la tradition, tout en revenant pour le tromboniste aux origines jazz de l’instrument comme dans le titre inaugural où il joue charnu, gouleyant; il baille même de plaisir sur ce Dixie du premier orchestre blanc. Plus loin, il escaladera la gamme avec un plaisir renouvellé, véloce et profond aussi, toujours prêt à descendre dans les graves.

Du blues encore, avec sourdines dans le formidable “Belafonte”, dédié au chanteur et acteur, vrai héros et héraut de la lutte pour les droits civiques qui n’hésita pas à compromettre sa carrière, à qui Spike Lee rend hommage dans son dernier BlacKkKlansman.

Du blues  dans “Where did you sleep last night?”, “High Society” de Cole Porter (thème popularisé par le musical puis le film éponymes, grand succès des années cinquante), dans ce “Bass Song”, le très beau thème, le plus long de l’album, dû au contrebassiste qui soigne ses complices!

Dans une étonnante reprise, très courte (2’ et des poussières) des célébrissimes “Oignons” du soprano Bechet, Daniel Humair qui s’y connaît en matières et en fourneaux, se mêle des oignons, mitonne son propre plat d'oignons, pas confits en chutney mais délicieusement frits et juste blonds! Il nous réserve un dernier plaisir en créant la pochette colorée, graphique, lui qui aime peindre autant que jouer des peaux et des fûts! D’ailleurs, “Jim Dine”, une de ses compositions -où le trio joue à plein, rend hommage à cet artiste inclassable, qu’il apprécie dans son grand éclectisme,  peintre, sculpteur, compositeur, qui créa ( entre autres) des “Hard hearts” rouges.

Intense, intelligemment construite, tournée à la fois vers les formes libres et un amour authentique des origines, ce 1291 procure une véritable “Jazz Envy”, une attirance forte pour ce jazz “en vie”, d’autant plus essentiel en ces temps volontiers déprimants. 

Cette musique élastique, à la plasticité brillante d'un trio partageant gourmandise et sensualité, est “crunchy” à souhait (rappel de l’incontournable "madeleine", du chocolat de l’enfance, Crunch?).

Sophie Chambon

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