A propos de No solo d'ANDY EMLER sur le label La Buissonne.
Retrouvez la chronique de Jean Louis Lemarchand :
http://lesdnj.over-blog.com/2020/08/andy-emler-no-solo.html
A l'écoute de ce nouvel opus du chef du Mégaoctet, je me suis interrogée sur certaines compositions qui ont réveillé ma nostalgie.
Si le titre n’était déjà pris, Alone Together résumerait bien mieux que de longs discours le nouveau projet du pianiste Andy Emler qui a créé une suite de petites pièces pour piano et solistes (instrumentistes et vocalistes) mettant en valeur la personnalité musicale de ses amis/partenaires.
Il a plus que jamais un vrai désir de musique en commun pour traverser le temps, les espaces naturels, se moquant des dénivellés, gravissant les escarpements rocheux allègrement pour mieux dégringoler les pentes, ou se coulant en rivière, enflant et grondant comme un torrent…
Au fil des pièces qui se succèdent, on se réjouira des surprises abordées avec le chant de la flûtiste syrienne Naïssam Jallal; dans “12 oysters in the lake”, il réserve à Ballake Sissoko avec lequel Emler a joué de l’orgue dans des églises, un ostinato qui permet au chant de ce maître de la kora de s’élever. Dans la délicate pièce “The Rise of the Sad Groove”, le timbre sensible de la saxophoniste alto Géraldine Laurent mêlé aux voix d'Hervé Fontaine, en un doux ressac, ebb and flow, nous transporte au bord de l’océan!
Son partenaire du “chauve power”, le saxophoniste Thomas von Pourquery, il le fait chanter, avec Phil Reptil, dans ce “Light please” exalté, lointainement inspiré de Ludwig von … et d’une demande en concert de faire du Beethoven. Bizarre requête mais tous deux s’étaient gentiment exécutés à partir du Clair de Lune…. “Light Please”, une impro détonante qui s’appelle ainsi Car après la nuit….
Abrupt dans les graves, percutant et percussif encore et toujours, comme dans cette intro “Jingle Tails” (un jeu de mots avec "Jingle Bells", ça ne m’étonnerait pas!). Mécanique et obsessionnel, martelant des accords surprenants, sa musique rythmiquement appuyée, affirme un sens dramatique évident avec un goût prononcé pour les reprises, les boucles, les échos, les répétitions passionnées.
“Quand on pense à un soliste, on n’écrit pas de la même manière, il faut simuler la présence de l’autre et jouer comme s’il était là! “Travail de mémoire, de réminiscences comme il a su très bien faire avec son My own Ravel, où il ne jouait pas du Ravel. Je me souviens à l’époque avoir été prise de cours tant sa partition me semblait faites de citations, d'extraits existants ravéliens! Non, tout provenait de sa plume. Géraldine Laurent partage son goût pour Ravel même si c’est dans “Près de son nom”, avec son pote de toujours, le contrebassiste Claude Tchamitchian, qu’il joue au plus près du maître, à grands traits d’archets, déchirants de mélancolie, avant de prendre la main, tant il connaît son Ravel sur le bout des touches.
Même impression en écoutant “The Warm up”, un échauffement harmonisé, inspiré de la musique symphonique de Genesis, celui de Peter Gabriel. Mais à 90% d’EMLER et 10% du groupe anglais. Il ne nous facilite pas la tâche, jamais de citation franche, même courte, mais des fredons qui se fondent littéralement dans sa version, un écho fugace qu’au détour d’un fragment, d’une phrase musicale, la mémoire croit reconnaître! J’ai écouté plusieurs fois ce titre et me pose cette devinette: est-ce un retour de l’intro grandiose de The lamb lies down on Broadway ou une “resucée” emlerienne de Firth of Fifth de l’admirable Selling England by The Pound? Il y mêle peut être un écho de Foxtrot ou Nursery Rhymes ?
Je donne ma langue au chat mais voilà encore un exercice de style qui n’en manque pas: s’il renvoie aux maîtres de l’instrument, ce piano qui danse, est assez éloigné du jazz américain. Andy Emler a une culture, une formation et se reconnaît dans une génération qui l’autorisent à sortir de ces références. Ecoutons donc ce compositeur à la signature immédiatement reconnaissable, à l’univers des plus attachants qui sait se fondre dans celui de ses partenaires. Merci et encore bravo l’artiste!
Sophie Chambon