Henri et Pablo CUECO
DOUBLE VUE
VOL DANS LA NUIT/LE GANG DES PETITS VELOS
https://www.qupe.eu/livres/double-vue/
Après son savoureux Pour la route qui comptait et racontait les bistrots du 3ème arrondissement, fréquentés par le musicien Zarbiste Pablo Cueco, voici que sort, toujours dans la petite mais excellente maison d’édition Qupe, ce Double vue qui change radicalement de thématique et nous emmène, pas loin d’Epinay, Villetaneuse, Deuil, Sarcelles et autres délicieuses bourgades de la banlieue nord, lors d’une soirée d’été de 2001 qui aurait pu mal finir, style Le Bûcher des Vanités.
Une présentation originale, ludique et inspirée, qui narre selon la technique du double point de vue, le vol à l’italienne ou à l’arraché survenue à la famille de Pablo Cueco, un soir d'été caniculaire, en rentrant dans leur banlieue. Il suffit de retourner le livre pour retrouver, en miroir, après celle de Pablo, Vol de nuit, l’autre version des faits, celle de son père Henri (écrivain, militant, peintre de la figuration narrative), intitulée Le gang des petits vélos. Le père et le fils font un compte-rendu, sensiblement différent, de ce fait divers qui se termine bien somme toute…
Puis père et fils remontent le temps ou le poursuivent, à partir de cette fin août 2001, avec les souvenirs de certains événements décisifs comme la journée du 11 septembre 2011 ou des anecdotes plutôt nostalgiques de manifs.
Tous ces fragments, a priori disparates, liés par une certaine chronologie, qui tient du journal, finissent par créer, sinon un récit, du moins des moments forts, des traces indélébiles liées à la mémoire du père. Une complicité partagée, encouragée même par le père, des souvenirs sans pathos ni déballage, sans photos, plutôt un retour sensible, émouvant, un devoir de mémoire envers des notes non publiées du père qui ne resteront pas dans un tiroir.
Pulsions de vie et émotions fortes : à la mort d’un être aimé, on s’accroche, on donne du sens à tout ce qui fait retour. L’intérêt supplémentaire de ce petit opus est de donner une relecture, une réécriture à quatre mains. De partager encore, au delà de la mort.
Ecrire dans la foulée ce que ces mêmes faits vous inspirent est une formidable idée qu' a saisie Pablo Cueco. En fracturant la narration, court le fil de la vie et ainsi s’aménage, à coeur ouvert, la continuité de la famille. Et ce n’est pas un hasard de retrouver ainsi gravés à jamais, les derniers mots de la version paternelle :
Je me soigne aux histoires. Ça fait trois fois au moins que j’écris ces conneries de la maison. C’est comme les frères. C’était sinistre, épouvantable, mais ça nous faisait rigoler. Dans les réunions de famille, quand on a bu un peu, on se les raconte encore et ça fait rire à tous les étages des générations encore en vie. Bientôt ce sera notre tour, on nous racontera et ça sera toujours ça de vie qui nous restera...
Sophie Chambon