CHRISTOFER BJURSTRÖM
L'ECUME DE MAI
SORTIE DECEMBRE 2020
L’écume de mai surgit en bord de mer, souvent au printemps. Produit du bouillonnement de la mer, elle est portée par le vent vers le rivage. Christofer Bjurström évoque dans cet album ce qui nous constitue dans les diverses temporalités de nos vies, comment nous sommes présents au monde. Comme des tableaux sonores qui ouvriraient une fenêtre idéale dans laquelle s’inscrit le visage intérieur du pianiste.
Explorant les possibilités d’un instrument complet, il affirme une dimension narrative, qui ne va pas sans émotion. Il choisit ainsi de se portraiturer à travers un choix de textes et par des plages improvisées. Travail solitaire et plus ingrat mais adapté sans doute à cette période introspective. Rappelons que le disque fut enregistré en juin dernier pour le label Marmouzic records. Une musique sensible, qui nous met aussi à l’épreuve, qui trace au fil de 9 compositions le relief de ses humeurs troublées, sceau du confinement?
Cette aventure toujours risquée du piano solo décline donc 9 pièces libres, vives, inspirées de poèmes de Jules Supervielle, Abdellatif Laâbi, Claude Roy, Bo Carpelan, Emily Dickinson, Sylvia Plath et Raymond Carver.
Ce qui est devenu écume, le tout premier titre, en réponse à Supervieille dans Oublieuse Mémoire, éclaire le projet sans ambiguïté:
C’est tout ce que nous aurions voulu faire et n’avons pas fait,
Ce qui a voulu prendre la parole et n’a pas trouvé les mots qu’il fallait,
Tout ce qui nous a quittés sans rien nous dire de son secret …
Ce qui est devenu écume pour ne pas mourir tout à fait ...
Ce qui avance dans les profondeurs et ne montera jamais à la surface, Ce qui avance à la surface et redoute les profondeurs;
La musique est plus que jamais une tentative de fixer l’éphémère même si “Rien de ce qui arrive ne demeurera” écrit Raymond Carver dans La vitesse foudroyante du passé.
Ce qui demeure, trace de l‘instant qui se joue, de la musique qui advient, fait de la place à nos images mentales, à nos paysages intérieurs. Christofer Bjurström parvient à produire une musique à la fois résistante et liquide, avec des formes qui naissent et s’évanouissent, en une plongée dans les tréfonds de l’intime. Notes en pluie serrée et persistante, ou qui perlent et rebondissent un un friselis moutonnant, martèlement audacieux du clavier ou bruit sourd dans les bois et cordes quand le piano est préparé, superpositions d’accords et de brisures rythmiques composent un chant jamais plaintif mais lucide, une mélodie souvent heurtée, des tressaillements qui remontent avec le souffle du temps. Avec l’appréhension d’un certain vide qui devient silence, dans une tonalité volontairement grave, s’inscrivent pauses, ruptures, blancs. Un rythme souvent insistant, obsessionnel parcourt ses solos qui racontent presque toujours une histoire. Surgissent aussi des mélodies plus fluides, impressionnistes, des élans lumineux réparant les horizons éclatés, qui ramènent vers des rivages connus, avec l’espérance.
Ainsi écoutons nous ce piano en archipel, singulier pluriel qui sait accompagner les images d’un film qui se projette dans notre imaginaire.
Sophie Chambon