Chick Corea oui, c’ était tout ça Chick!
Tout le week end, les hommages ont afflué pour célébrer l’une des légendes du jazz des cinquante dernières années. Il a traversé toutes les esthétiques : d'une solide culture classique, amoureux du bop (Bud Powell), il devint le héros du jazz rock et de la fusion à son acme, et il n'en a pas moins flirté un temps avec le free.
Passons sur les innombrables messages sur les réseaux sociaux, souvent dispensables, même si on pourrait me rétorquer que le ressenti ne ment pas, forcément subjectif, pas moins “communicable” et “partageable”.
Revenons plutôt sur les radios qui ont joué leur rôle, enfin surtout France Musique. Mais on n’en attendait pas moins de nos émissions préférées sur cette antenne qui sont revenues sobrement sur sa carrière, illustrées- et c’est ce qui importe, de généreux extraits musicaux.
Notre Jean Marc Gelin des DNJ a bouleversé sa programmation sur Radio Aligre FM, 93.1, pour évoquer avec aisance, en une petite heure, trop courte, le pianiste.
Les journaux de la presse nationale se sont livrés au passage obligé, le “marronnier” de la nécrologie. C’est drôlement difficile de faire une bonne nécro, cela demande talent, connaissances et de partager son sentiment, forcément subjectif. J’ y reviens décidément, un ressenti qui serait universel, ou simplement intersubjectif?
Sur le blog de Jazz Magazine, Franck Bergerot nous a livré, dans Bonus, sa recollection de Now He Sings, Now He Sobs, sorti initialement sur Solid State. Bonne pioche. Il a découvert le disque, comme il le fallait, à sa sortie, il y a cinquante deux ans mais il cite encore l’article de 1971 d’Alain Gerber que j’aimerais bien lire…. sur Jazz Magazine n°171, d’octobre 1969. C’est ça qu’est Chick. Et dont je m'inspire car je n’ai jamais su trouver de titre accrocheur!
J’ai acheté le même disque, ressorti sur Blue Note, bien des années après, mais à “mon” époque, je n’ai guère écouté de Chick Corea que l’incontournable Return to Forever, comme un torrent d'énergie avec ses espagnolades, sans nuance péjorative de ma part, je précise.
C’est la dernière émission de Laurent Valéro, “Repassez-moi le standard”, hier soir à 19h, toujours sur France Musique, qui m’a donné envie de faire le point. Il nous fit entendre les thèmes obligés devenus cultes, mais aussi les standards ( émission oblige) aux quels, comme tout grand du jazz, Chick s’est frotté avec bonheur, éternelles compositions de jazz ou de la pop. En cherchant dans mes papiers, je n’ose dire “archives”, j’ai retrouvé une chronique que j’avais écrite, en 2002, témoignage d’une époque passée, où ECM se livrait déjà à une compilation, pas “dégoutante” du tout!
Dans son anthologie ECM RARUM, 2002, Chick Corea a choisi 13 titres de 6 albums et 3 groupes dont le mythique Return To Forever. Nostalgie oblige, il choisit de commencer avec la suite de 1972, qui évoquait déjà un monde idéal “Sometime ago” et “La Fiesta”. Qu’on nous pardonne d’écouter encore avec quelque émotion ces plages datées aujourd’hui, qui mettent en évidence le talent du flûtiste et saxophoniste soprano Joe Farrell, le percussionniste Airto Moreira transformé en batteur pour la circonstance, la voix perchée de Flora Purim et l’enthousiasme contagieux de Chick Corea au piano électrique, instrument adopté à l’époque pour faire sonner cette musique d’inspiration diverse, à la fois classique, jazz et brésilienne. Changement d’ambiance avec les délicats duos piano-vibraphone avec son pote de toujours Gary Burton, ou encore un live à Zurich en 1979, “Desert Air” choisi sur le remarquable Crystal Silence.
Mais la crème de la crème reste tout de même le trio avec Miroslav Vitous et Roy Haynes, “Now he sings, now he sobs” dans certaine reprise de Monk “Rhythm-ning” ou dans le final d’un live à Willisau en 1984 “Summer night/ Night and Day”: 14’22 de pur plaisir avec le trio : swing impressionnant, rythme intense, mélodies recherchées!
Corea a une qualité rare, il laisse ses partenaires suffisamment libres dans des échanges qui prennent leur temps et tout leur sens. Immense soliste, il sait aussi être un accompagnateur de premier ordre. Constamment en recherche, il a changé de direction maintes fois dans sa vie et il faudrait plus que cette première compil pour rendre compte de toutes les influences qui l’ont traversé et qu’il a su transcender. La carrière de Corea est si fertile que l’on attend avec impatience un nouvel opus: il faut en effet réentendre le soliste des Children songs, ou des Piano Improvisations, le révolutionnaire créateur de l’ensemble Circle. Oui Corea , c'est vraiment un chic type….
Sophie Chambon