Jean BUZELIN
Sister Rosetta Tharpe la femme qui inventa le rock and roll
Preface de Philippe Bas-Rabérin
Editions AMPELOS éditions Ampelos | éditeur de combats (editionsampelos.com)
Grâce à l’ami Jean Buzelin, fin connaisseur de toutes sortes de musiques dont le jazz, le gospel, le blues et la chanson française, Rosetta Tharpe a enfin sa biographie en français.
Voilà un petit livre formidable, sorti chez les éditions Ampelos qui réhabilite Sister Rosetta Tharpe (1915-1973) qui a subi une traversée du désert de plus d’un quart de siècle. Enfin intronisée au Rock And Hall of Fame en 2018, les sept volumes de son intégrale sont parus chez Frémeaux& Associés qui fait un travail remarquable dans la conservation du patrimoine musical.
Qui était Sister Rosetta Tharpe? L’une des plus grandes chanteuses de gospel, rivale de la grande Mahalia Jackson, qui débuta, en pure autodidacte, aux côtés de sa mère dans des tournées d’évangélisation, en s’accompagnant de sa guitare.
Son originalité est d’avoir su relier le gospel au blues et au jazz puisqu’elle se lança un temps dans une carrière profane, débutant au Cotton Club avec Cab Calloway, ou sur la scène de l’Apollo de Harlem où elle introduisit des chants sacrés. Elle rejoint un temps l’orchestre de Count Basie et tourne aux côtés de Benny Goodman! Elle accompagne son chant d’un jeu de guitare mordant, très rythmique et à la sonorité presque rock and roll avant la lettre. En 1939, le magazine Life titre “la chanteuse qui swingue les mêmes chansons à l’église et au cabaret”.
Sister Rosetta Tharpe - Lonesome Road (1941) | Soundie - YouTube
Elle parvient en effet à swinguer le gospel mettant à profit son expérience sur la scène jazz. Elle devient très vite la première vedette du disque de gospel et enregistrera pour Decca, Verve, Mercury, connaissant une célébrité nationale.
Bien que créatrice d’une nouvelle expression vocale populaire, issue de ce double apport religieux et profane “a secular gospel music”, elle sera obligée d'abandonner sa carrière profane mais elle réussit cependant à garder son autonomie de holly roller singer et parvient à ne pas changer son style bluesy et swingant. Au sommet de sa gloire entre 47 et 51, l’âge d’or du gospel, elle tourne avec son quartet de Rosettes dans le sud ségrégationniste avec un chauffeur blanc pour contrer les lois Jim Crow ( on se croirait dans le film Green Book). Ambassadrice du gospel en Europe, elle vit une aventure triomphale et en France, chante même en première partie de Trenet en 1958! Son influence sur les chanteurs de rock des années cinquante (blancs et noirs ) et sur la génération des groupes de rock britanniques des années soixante, passionnés de blues, explique sa réputation de “marraine du rock and roll”.
Jean Buzelin donne à voir en quoi une communauté s’est inventée un mode de vie dont la religion est essentielle dans la construction de soi. Femme noire et chanteuse dans une de ces églises noires, souvent très conservatrices et puritaines, n’était pas une position facile. Elle fut souvent tiraillée entre ses racines, sa foi évangélisatrice et une nature très spontanée, la chair (trois mariages) et l’esprit, la lutte collective et une carrière indépendante. Sa quête demeura cependant spirituelle, guidée par un chant lumineux et des qualités réelles de musicienne.
Appuyant sa recherche sur une documentation précise dont une interview de François Postif pour Jazz Magazinen°35 et le travail de Jacques Demêtre pour Jazz Hot, Jean Buzelin réussit un portrait saisissant de vitalité et rend justice au talent de cette femme forte, déterminée, à la personnalité solaire. On croit entendre la voix de cette Sister “admirablement placée”, soprano légère, entre foi, enthousiasme et vigilance.
Un livre absolument recommandé pour pénétrer la complexité des musiques noires et se familiariser avec le gospel en particulier.
Sophie Chambon