Un concert à huis clos au Studio de l'Ermitage pour l'émission 'Jazz Club' de France Musique, et pour présenter un nouveau répertoire, intitulé 'Après Z', et que l'on espère entendre en public (si la pandémie fait relâche....) fin mai dans la Nord, fin juin en Vendée et fin juillet dans la Nièvre
http://www.surnaturalorchestra.com/-Apres-Z-
SURNATURAL ORCHESTRA
Léa Ciechelski (flûte, voix), Clea Torales (flûte, saxophone alto, voix), Basile Naudet (saxophone alto), Morgane Carnet (saxophone alto), Camille Sechepper (saxophone alto, clarinette), Jeannot Salvatori (saxophone alto, cavaquinho, voix), Guillaume Christophel (saxophone ténor, clarinette), Nicolas Stephan (saxophone ténor, voix), Morgane Carnet (saxophone baryton, effets), Pierre Millet (trompette, bugle), Julien Rousseau (trompette, mellophone, euphonium), Antoine Berjeaut (trompette, bugle), François Roche-Juarez & Hanno Baumfelder (trombones), Judith Wekstein (trombone basse), Boris Boublil (claviers, guitare), Fabien Debellefontaine (sousaphone), Ianik Tallet (batterie), Sven Clerx (percussions)
Paris, Studio de l'Ermitage, 17 avril 2021, en direct du France Musique
L'après-midi commence par une répétition, avant de faire la balance du son pour la sonorisation du plateau et la diffusion radio : c'est un nouveau programme, et de surcroît les concerts de ces derniers mois ont connu bien des annulations de crise sanitaire. Toutes et tous sont à 100% dans l'urgence de l'instant. On répète des compositions assez différentes, signées par les membres de l'orchestre (c'est un VRAI collectif). Les harmonies sont tendues, et la voix doit se poser sur des sections dont un membre, parfois, à oublié le diapason, et la référence du synthé est impitoyable. On sort l'accordeur électronique, on se recale, et c'est reparti. La balance se superpose à la répétition : on s'arrête pour peaufiner le son d'un instrument ou d'une section. Et puis il y a débat sur les détails : le consensus règne dans cette musique dont Max Roach disait, paraît-il, qu'elle était «la seule démocratie réalisée».
Il y a des changements de place et de micro selon les titres, et pour répéter la composition qui terminera le concert (la seule issue du répertoire précédent, le disque «Tall Man Was Here», paru voici quelques mois) il faut regrouper autour d'un micro stéréo sept instrumentistes devenus choristes. Tout est prêt pour le concert.
Yvan Amar, qui va présenter dans quelques minutes le direct sur l'antenne de France Musique, précise à l'auditoire forcément peu nombreux (les équipes du son, du lieu, et quelques 'professionnel(le)s de la profession' qui sont aussi souvent des amis) que nous sommes autorisés à applaudir. Nous ne nous priverons pas de ce privilège, et manifesteront notre enthousiasme (il sera bien réel !). Yvan Amar 'prend l'antenne' (selon l'expression consacrée). Il est au bord du plateau. Les musiciens sont répartis, en cercle, là où habituellement se trouve le public de l'Ermitage. Pendant qu'il parle les musiciens rient, font entendre un brouhaha concerté. Puis Camille Sechepper parle, dit un texte au nom de l'orchestre. «On est bien à la radio....». Il parle du plaisir à s'adresser à un public par la voie des ondes. Du refus de la vidéo, qui est en train de devenir le medium dominant de la musique, faute de concerts.... Progressivement la parole se fond dans la musique, qui va prendre le pas jusqu'à une entrée fracassante du tutti, engagé dans une marche d'une énergie farouche. Solo de ténor de Nicolas Stephan, puis le sax alto de la compositrice de cette pièce, Clea Torales, va déchirer l'espace dans les lointains, avant l'entrée en scène de la flûte de Léa Ciechelski, et du cavaquinho (petite guitare portugaise à 4 cordes) de Jeannot Salvatori. Puis des synthés surgit le thème suivant (La couronne tombe, de Camille Sechepper), avec assaut par vagues des autres instruments, ensuite par pupitres, dans un ensemble concertant, dirigé façon sound painting, et mis en espace de manière onirique par le percussionniste. C'est harmoniquement tendu, dense et riche, un peu comme Wagner (en moins pompier peut-être : je sens que je vais encore me faire des amis....) au pays de Centipede (mais eux ils étaient 50, le Surnatural affiche 18 instrumentistes). Puis brusquement on bascule, biguine ou calypso, avec appels de trombone et nouvelle effervescence, pour atterrir dans les rythmes et les accords du Sacre de Stravinski (interprétation très personnelle du chroniqueur, dictée à la fois par ses obsessions et par la pauvreté de ses références dans la musique savante....). Le thème suivant est une chanson mélancolique, Pop Oslo, musique de Pierre Millet sur un texte de Betty Jardin, dans la voix de Jeannot Salvatori. Par son lancinement la chanson progresse vers une beauté presque sépulcrale qui me rappelle l'album «A Genuine Tong Funeral» composé par Carla Bley pour Gary Burton à la fin des années 60. Ce ne sera pas la dernière fois au cours de ce concert que je penserai à cette fameuse compositrice.... Maintenant c'est Après Z, composé par Nicolas Stephan. Le titre est l'emblème choisi par l'orchestre pour désigner un nouveau programme, et c'est l'intitulé global de la série inaugurée par ce concert à huis clos radiodiffusé. On entre par un solo déchiré d'alto par Basile Naudet, soutenu par la section de sax puis par un tutti qui avance inexorablement, porté par une section rythmique (sousaphone, guitare, percussions et batterie) d'une fermeté non dépourvue de souplesse.
Les notes en boucle se dissolvent en autant de fragments quand revient la ligne des cuivres, qui me donne cette sorte de vertige que provoque chez moi le premier mouvement de la Musique pour cordes, percussion et célesta de Bartók (encore une de mes obsessions....), et la tromboniste basse, qui s'est déplacée au cœur de la section de sax, nous conduit vers un retour conclusif du sax alto. Un départ en binaire très appuyé écourte la désannonce (comme on dit à la radio) d'Yvan Amar. C'est Whistling Kid, composition de Boris Boublil, effet bulldozer, mais paré de subtils détails, solos très engagés d'Antoine Bergeault puis de Cléa Torales. Ça roule, comme une obsession pesante à marche forcée, que va suspendre une fin abrupte et libératrice. La composition suivante est du trompettiste que l'on vient d'écouter en soliste : Funny Kids , avec rythmes changeants et solo par la flûte virevoltante de Léa Ciechelski. La musique et son caractère collectif ravivent dans ma mémoire le souvenir de 'Centipede', l'orchestre de 50 musiciens rassemblé en 1970 par le pianiste britannique Keith Tippett : liberté festoyante et audace. C'est tissé d'éclats et d'éclairs de divers instruments, et une fin abrupte nous conduit directement à l'ultime moment du concert : Tall Man Is Dead, fragment du concert-spectacle opératique Tall Man Was Here, œuvre collective créée en 2018, enregistrée et publiée en 2020. Cette séquence est signée par Nicolas Stephan et Clea Torales. Le saxophoniste en sera le récitant et le chanteur. Les cuivres sur un mode choral sont rejoints par le saxophone alto, puis surgit le chœur. Le chant est hyper expressif. L'énergie va croissant. Ma mémoire convoque les sensations éprouvées à l'écoute, sur disque dans les années 70, et beaucoup plus tard sur scène, d'Escalator Over The Hill de Carla Bley et Paul Haines. Decrescendo vers une sorte de chant d'espoir, Yvan Amar 'rend' l'antenne qu'il avait 'prise' une heure plus tôt. Et le concert se termine quelques instants plus tard. Applaudissements chaleureux des présents, émus par l'intensité musicale de ce moment. Quel plaisir que d'assister à l'émergence sur scène de ce nouveau programme : un rodage qui est déjà une vraie réussite. Vive la création collective, et longue vie au Surnatural Orchestra, qui depuis 20 ans nous étonne et nous emballe !
Xavier Prévost
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