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3 juin 2021 4 03 /06 /juin /2021 12:25
RICERCARE        PHILIPPE MOURATOGLOU TRIO

PHILIPPE MOURATOGLOU TRIO RICERCARE

Visions fugitives

www.visionfugitive.fr

 

VISION FUGITIVE - Catalogue

www.philippe-mouratoglou.com/fr

Philippe Mouratoglou doit rêver ses disques et il parvient à les réaliser avec le soutien de Vision Fugitive, un label exigeant jusqu’à la conception du livret (excellentes notes de Pascal Rozat, peintures d’Emmanuel Guibert ). Et un trio qui fonctionne à l’intuition, recherchant formes et couleurs sonores, comme le ferait un peintre dans son atelier. Emmanuel Guibert qui suit le façonnage toujours soigné des albums du label, se concentre cette fois sur Varengeville, sur la côte d’albâtre, en Normandie, où Georges Braque installa son dernier atelier, attirant tous ses copains peintres, fascinés par la lumière marine, les bocages et valleuses herbues.

Après Universolitude (Eluard), le deuxième album de ce trio inclassable qui brouille les repères, Ricercare, est bien nommé. Ricercare, c’est “rechercher” et nous voilà à pied d’oeuvre avec cette fine dentelle sonore qui éveille l’imagination, entraîne des visions comme dans l’inaugural “Cherokee”, titre qui pourrait nous balader. Il ne s’agit point du standard de Ray Noble mais d’une référence à Joni Mitchell, la dame de Laurel Canyon et d’un emprunt à l’un de ses “open tunings”, accordages ouverts, qui facilitent la tâche, en jouant sans la main gauche des accords majeurs ou mineurs. Philippe Mouratoglou aime aussi perdre ses repères digitaux, se lancer sans réfléchir, dit-il, abandonner les plans et autres réflexes guitaristiques, se laisser porter par ce qui advient, la musique du hasard. La scène s’ouvre à un lieu d’expériences, ces accidents somme toute heureux, car le hasard aussi a son mot à dire. Le guitariste n’a peur de rien mais il peut se le permettre, il joue avec une telle dextérité, et de tous ses doigts, ça lui réussit!

Les guitares folk à cordes en métal induisent de longues résonances et une étrange familiarité, l’instrument recrée les images du genre, avant de les contourner, tout en restant dans une même perspective. Philippe Mouratoglou ne tombe jamais dans le piège attendu du lyrique quand il en a toutes possibilités.  On va ainsi de surprise en surprise avec l'envoûtant “Bleu Sahara” et  ce “Shamisen” joué au mediator, qui attaque fort, avec un son loin du luth japonais du titre. Le guitariste qui fréquente plutôt les classiques, aussi à l’aise dans le baroque que le contemporain, pourrait se voir associé à d’autres styles, inclassable guitar hero, à qui il ne manque que l’électrique.

Les compositions ont des titres inspirés de poèmes, le guitariste ayant saisi la leçon des “correspondances”, tentant avec succès d' habiller sa musique. Sur les dix titres, on compte une reprise du thème magnifique de Jimmy Rowles “The Peacocks”, ce “Ricercare” XXXVIII d’un luthiste du XVIème qui ne trompe pas sur sa provenance baroque. “Inventions sur Curumim” est plus intrigant: librement inspiré de Curumim, cette chanson brésilienne est transformée au point de ne pas en déceler l’origine, à la première écoute.

Venons-en aux indispensables complices, les partenaires de cet hydre à trois têtes, trio à l’instrumentation peu classique ( guitares acoustiques, contrebasse, batterie). Ils poussent toujours plus loin les compositions, apportant  leurs nuances coloristes dans une texture soyeuse qui enchaîne climats d’une grande douceur et atmosphères plus engagées. 

Ramon Lopez, maître du rythme est souvent plus affairé à peindre sa toile sonore, projetant une pluie de sons, myriades de gouttes sonores sur  la mélodie de Mouratoglou. La contrebasse structurante de Bruno Chevillon, toujours impeccable, ajoute le raffinement d’autres cordes en action. La rythmique joue à une improvisation complice, brossant tout un arrière-pays dans une tonalité sourde qui traduit une émotion souvent contenue. Et quelle réussite que ces deux duos en miroir, l’un avec Bruno Chevillon qui travaille l’archet dans “Capricornes” et l’autre avec Ramon Lopez, dans cet improbable “Shamisen”.

Ce trio singulièrement attrayant fait le pont entre des musiques a priori inconciliables, en montre au contraire les affinités, propose toute une galerie d'expressions. Avec la souplesse d’une musique qui n’est jamais mieux servie que quand elle est jouée avec douceur.

 

Sophie Chambon

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