Vincent Lê Quang (saxophones soprano & ténor), Bruno Ruder (piano), Joe Quitzke (batterie), Guido Zorn (contrebasse)
Pernes-les-Fontaines, décembre 2019
La Buissonne RJAL 397038 / PIAS
Dès les premières notes de piano (un arpège de do où la tierce, absente, est bien sous-entendue comme mineure), le sortilège est là. Les tambours sollicités par des mailloches qui font entendre ce que seraient des graves de piano étouffés avec la main confirment cette magie noire. La basse rôde et le soprano fait son entrée de velours. En moins d'une minute on sait que l'on entre dans une intensité musicale au sommet. Éternelle comme le suggère le titre ? Pourquoi pas. Une entrée dans un univers de très grande musique. Libre, émancipée des codes et langages, tout entière contenue dans l'évidence de la forme et la sensualité du son. Tout semble ici reposer sur la connivence tissée par ces musiciens depuis 12 ans, ce tétralogue de chaque instant d'où surgissent sans cesse, pour nous qui écoutons, surprise ou étonnement. Pourtant habitué à guetter dans chaque mesure, ou chaque groupe de mesures, ce qui pourrait advenir au-delà, je renonce assez vite : l'échec de mon anticipation abolirait le plaisir de l'écoute. Alors je fais allégeance à cette loi du plaisir immédiat, assuré que d'autres écoutes ouvriront de nouveaux horizons. Advient l'instant du ténor, à la troisième plage : force d'expression intacte, et interaction toujours avec les autres musiciens, comme s'ils avaient décidé une fois pour toute de faire langue commune, sans préjuger du langage qui se forge et se transforme au fil des barres de mesure. C'est à la fois une navigation à vue et une imparable vision du but à atteindre : c'en est fascinant. Le saxophoniste signe 9 titres mais laisse à chacun de ses partenaires la plume pour une plage, occasion de confirmer leur adhésion à cette musique qui est décidément collective. Après une espèce d'interlude pour piano seul (mais sur une composition du saxophoniste ?) accroît encore l'intensité du mystère, jusqu'à ce que la plage suivante marque le retour du soprano, en majesté, timbrant parfois sensuellement dans le grave. Un hommage appuyé à Wayne Shorter dans une plage, et dans toutes une déclaration d'amour au son et à la musique : magistral !
Xavier Prévost
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