Tremplin Jazz d'A vignon, 29ème édition, retour au cloître des Carmes.
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On n’y croyait plus, après une année blanche due à cette terrible pandémie, et une crise sérieuse au sein de l’association, cette reprise est providentielle. Cette manifestation sudiste si chaleureuse organisait chaque année un concours européen intercalé dans un festival de jazz, au début du mois d'août, hors des hordes théâtrales. C’est à ce moment que l’association du Tremplin Jazz propose dans le cadre exceptionnel du cloître des Carmes, concerts et tremplin européen. Moins prestigieux que la Cour d’Honneur, certes, ce lieu de concert en plein air est idéal pour sa jauge raisonnable et son acoustique servie par un sonorisateur et un éclairagiste à l’écoute du lieu et des musiciens.
Le Tremplin reprend donc sa belle aventure en 2021, sans le festival hélas, soutenu par l' équipe de bénévoles que l’on retrouve et que j'aimerais tous citer, des chauffeurs ( Dominique, Serge) aux photographes ( Claude, Marianne, Sylvie), du catering ( Cyrille...) toujours fidèles, en dépit des années, des inévitables et sérieux problèmes d’organisation, entourés de partenaires qui ne sont pas moins engagés à faire repartir la machine. Une générosité de l'accueil exemplaire, voilà l'une des composantes de marque de cette manifestation que soulignent tous les candidats, ravis de se retrouver dans la cité papale et de jouer dans de telles conditions.
A nouveau sur le pont, Michel Eymenier, l’un des membres fondateurs en 1992, avec Jean Paul Ricard, fondateur de l’Ajmi .... en 1978 et Alain Pasquier, le troisième homme, saxophoniste.
Rappelons que six groupes européens entrent en lice pour avoir le privilège d’enregistrer un album au studio de La Buissonne de Gérard de Haro et de Nicolas Baillard. Cette année encore le Tremplin va jouer son rôle de révélateur de talents. Des propositions différentes, des univers musicaux qui s’exaltent avec les conditions du live, toujours exceptionnelles. Des groupes déjà professionnels, très matures, dont les recherches musicales cohérentes répondent à une ligne assumée, souvent originale.
Programmation 2021 | Avignon Jazz (tremplinjazzavignon.fr)
Lundi 2 août, 20H30, Cloître des Carmes.
NOE CLERC TRIO ( France )
Le jeune accordéoniste Noé Clerc, encore auréolé du prix d’instrumentiste à La Défense, en juin dernier, installe en cette heure bleue, alors que la nuit prend son temps pour tomber, dès les premières notes de sa composition “Arapkirbar”, cette atmosphère intimiste de Secret Place, le tout récent et premier cd de ce jeune trio (2018) sorti chez No Mad Music. Le trio travaille et raisonne couleurs, des couleurs de porcelaine qui vont s’intensifier avec l’entrée de la rythmique, Clément Daldosso et Elie Martin Charrière, jeune batteur bourguignon ( lire le portrait toujours sensible de Pascal Anquetil sur Tempo du Centre Régional du Jazz en Bourgogne )
https://tempowebzine.fr/elie-martin-charriere/
Si l’accordéoniste a été adoubé par Vincent Peirani, directeur artistique pour Secret places, c’est le saxophoniste Pierrick Pédron qui a reconnu le talent du batteur, l’engageant dans son dernier quartet; le batteur fait encore partie du deuxième volet, français de l’aventure Fifty Fifty, qui sort en octobre sur le label Gazebo.
On part dans les Balkans, avec ces musiques "trad" inspirées d’Arménie et de mer noire, de Bulgarie dès ces “Premières pluies” et “Faces of the river”. Les compositions de l’accordéoniste, travaillées de près, sont mélodiques, dépaysantes, d'une certaine continuité thématique, accrocheuses, entraînantes comme le sont les bonnes musiques de films : soufflantes harmonies, envolées de l'accordéon en cette année Piazzola, force sereine de la rythmique, ça fonctionne!
Le changement de plateau fournit une pause bienvenue pour échanger nos premières impressions : nous sommes tellement heureux de retrouver l’écrin du Cloître des Carmes, cette jauge parfaite sous la nuit qui remue tous ces souvenirs (de vingt années pour moi). Le Tremplin a bien commencé.
STRUCTUCTURE (ALLEMAGNE)
Non, ce n’est pas une coquille, mais le nom de scène de ce quartet allemand de l’école de Cologne qui va, une fois encore, montrer l’efficacité des jeunes musiciens d’outre-Rhin, champions d’un syncrétisme musical parfaitement maîtrisé!
Emmené par le contrebassiste Roger Kintopf, si la rythmique assure, posant un socle souple et flottant, l’étonnement admiratif qui va gagner l’ensemble du jury provient de la façon dont les deux saxophonistes se répartissent le jeu, en des interventions et des unissons impeccables qui n’en sont presque plus, tant ils font glisser, attrapent en vol et échangent leurs flux. Une telle osmose est exceptionnelle! Une musique riche d' influences parfaitement maîtrisées qui vont peut être voir du côté de Shepp années soixante, du Rova Saxophone quartet, d'Ellery Eskelin selon Franck Bergerot . Des interventions maîtrisées qui ne sont jamais gratuites, un interplay intelligent et poétique, une circulation parfaite pour une musique contemporaine. On décèle ce qui manquait aux Français précédents, une musique qui flotte élégamment, respire au sein d’une structure jamais rigide, une tension tout en souplesse de la rythmique . La concentration est absolue, les egos s’effacent derrière la recherche sonore.
Les compos sont remarquables, on retient le nom de la deuxième, pourtant peu porteur, “Parch Fathoms” ou “Damn morning coffee”. Et puis quelle aisance "pro" de la part de ces jeunes instrumentistes pour présenter leur groupe : avec talent, le jeune altiste, danois d’origine, Asger Nissen s'interrompt sans arrêter pour autant la dernière composition, pour représenter la formation.
(Marianne MAYEN)
On sait déjà qu’aucun de ces quatre musiciens ne peut avoir le prix du meilleur instrumentiste tant ils avancent ensemble, soudés pour faire vivre leur collectif. Un “nous” fédérateur, totalement complice qui ne rejette ni ne met personne en avant. On les suit sur leur chemin singulier d'une envoûtante légèreté, aux arrière-plans apaisés. Assurance, intelligence, inventivité, raffinement. Des épithètes laudateurs mais vérifiez sur Cd....
https://www.youtube.com/watch?v=bcRmNUu3rn0
MALSTROM (ALLEMAGNE)
On sait déjà que la suite va être difficile après l’éblouissement du deuxième groupe; et pourtant on n’est pas au bout de nos surprises quand déboule le troisième groupe, un triangle vite explosif dans la lignée des "power trio", avec un saxophoniste “multi tâches” selon l’expression d’un des membres du jury qui doit contrecarrer la puissance de feu d’un tout petit guitariste à l’allure aussi improbable que spectaculaire. S’il n’est pas la réincarnation du bassiste de Z.Z Top, il le rappelle furieusement, avec une gestuelle toute personnelle, parfois entravée par sa barbe . Pour le reste, il a une curieuse guitare baryton à 8 cordes et il en tire des sons aussi puissants que subtils! On pourrait presque dire que sa musique ne ressemble pas tout à fait à son allure. On peut entendre des effluves King Crimsoniennes mais ce serait réducteur que de le comparer à un guitar hero ou même à Zappa, qu’il m’avouera aimer infiniment. Cette rage de métal et de rock and roll n’exclut pas une exultation où le jazz tient son rôle ( le ténor, Florian Walter, très Zornien ).
Leur set est magnifiquement construit, une architecture complexe et singulière où malgré la longueur des compositions et la fin de la soirée, ils embarquent tout le monde, jury et public. Une énergie irrésistible où tout paraît brut, spontané, il ne faudrait pas s’y tromper, avec une déroutante et délicieuse rigueur! Cette génération veille sur la flamme. Quand je lui demanderai comment ils procèdent pour jouer une musique dont l'identité est si différente des propositions françaises par exemple, il me confiera que n'ayant pas un héritage musical à poursuivre, "il n’existe pas de jazz véritablement allemand", historique s'entend, ils sont donc obligés de s’approprier cette musique, d'extraire leur jus à partir d'une sérieuse mâche des sources.
(Marianne Mayen)
Pour la reprise du tremplin, soulignons la qualité exceptionnelle de la pré-sélection, un exercice toujours délicat particulièrement réussi; pour avoir testé l’ancienne formule qui consistait en une écoute unique, en aveugle, de tous les groupes, en une journée, le changement est radical: avec l’usage du cloud, les sélectionneurs ont tout loisir d’ écouter tranquillement ( près de 150 groupes ont fait leur demande) et de faire leur choix.
A la fin de la première soirée, les trois premiers groupes ont rempli toutes nos attentes. La partie sera serrée, mais ne préjugeons de rien.
Mardi 3 Août, 20h 30, Cloître des Carmes.
JOHANNA KLEIN QUARTET (ALLEMAGNE)
(Marianne Mayen)
Pour cette dernière soirée, le groupe emmené par la jeune saxophoniste a concocté un programme tout en douceur, véritable éloge de la lenteur. Rien ne presse semble t-il quand on s’éloigne des tendances furieusement mode. Le répertoire a de quoi charmer : un jazz de chambre délicat comme son interprète, nuancé : un phrasé élégant comme son timbre, une mise en place originale. Elle tient son groupe, aidé d’un batteur équilibriste qui assume au démarrage cet aspect déglingué, désarticulé. Jamais intrusive, la saxophoniste conduit avec une douceur extrême, voire une touche de mélancolie, une musique sensuelle, déroutante, énigmatique au début du moins, comme indécise. Rien de spectaculaire mais un sens certain, sinueux de la composition : on retient “Deimos”, “Phobos”. Puis la surprise est au rendez vous quand la cadence s’accélère et le trio guitare, batterie, contrebasse s’enflamme dans des échappées nettement plus free. Notre belle, imperturbable, veille au grain et le set s’achève, nous plongeant dans l’embarras. Le niveau n’a pas faibli!
GASPARD BARADEL QUARTET ( FRANCE )
( Marianne Mayen)
Le dernier groupe français de la sélection vient de Clermont-Ferrand et de nos régions au goût de terroir. N’ y voyez pas de chauvinisme exagéré mais on retrouve cette saveur dans des mélodies recherchées, ne venant pas nécessairement du fond d’un cratère endormi ; plus classique peut être mais qu’importe, une musique assimilée ( une relecture de Cherokee, le tube de Ray Noble), de la conviction, un batteur volcanique Josselin Hazard qui se secoue avec une belle énergie, tirant sur le versant d’Elvin Jones. Le leader saxophoniste alto et soprano joue avec une intensité touchante. Vibrant et passionné.
PENTADOX TRIO (BELGIQUE )
Nos amis belges ferment le concours et cette place finale ne leur sera pas favorable. Ils ne font aucune concession à l’heure et à la fatigue qui gagne et jouent leur musique, cérébrale, lancinante mais fluide, celle d’un quartet résolument contemporain qui fait la part belle aux motifs répétés et aussi à l’improvisation. Ils sont parfaitement entraînés à allier maîtrise et lâcher prise. Un équilibre délicat pour une musique osée, inventive qui suit quelque système à la Tim Berne. Une rêverie inspirée, étirée qui aurait gagnée à être plus courte cependant, s'arrêtant à la première suite. Mais ils cultivent l'étrange, comme dans ce jeu de mot bizarre du titre entre Panda tox(ique) et Penta(tonique) (para) dox. Surréelle toujours, la "Belgian touch". Sans jamais déplaire, la musique du quartet belge peine pourtant à captiver sur la longueur, en dépit de la finesse de ses tuilages.
Il est tard quand le jury "historique" se retire mais la délibération ne sera ni longue ni houleuse: un accord parfait, amical pour sceller des retrouvailles très attendues. Trois prix qui récompenseront les trois groupes allemands. Le prix du public, amplement mérité, ira au groupe arverne qui sauve l’honneur.
Les partenaires ont joué le jeu et permettent d’offrir à ces jeunes un encouragement à la hauteur de leur talent et leur engagement!
PALMARES de la 29 ème édition :
Prix de la meilleure composition RENAULT AVIGNON JOHANNA KLEIN (ALLEMAGNE)
Prix du meilleur instrumentiste HOTEL DE L'HORLOGE AXEL JAZAC ( ALLEMAGNE)
Prix du Public CHAPOUTIER GASPARD BARADEL TRIO (FRANCE )
GRAND PRIX DU JURY STUDIO LA BUISSONNE ( STRUCTUCTURE) (ALLEMAGNE)
C’est ce que l’on aime dans ce tremplin unique, atypique, qu’il tente de donner leur chance à des musiciens qui débutent, en pariant sur la découverte de jeunes qui suivent des sentiers moins balisés sans oublier pour autant d’où ils viennent.
On attend maintenant de pied ferme la 30ème édition anniversaire, avec le retour du festival poursuivant cette aventure musicale. ALL THAT JAZZ!
Sophie Chambon