Escapade marseillaise pour le chroniqueur, et plongée dans les deux premiers jours (22 & 23 septembre 2021) du festival 'Les Émouvantes'. Année compliquée, après l'édition 2020 qui proposait des duos et un solo issus de la programmation conçue autour des imaginaires. Cette année nous retrouvons les groupes au complet, et la musique telle qu'elle a été conçue. En mars le festival a connu des sueurs froides : le Théâtre des Bernardines, qui l'avait accueilli jusque là, déclarait forfait pour cause de travaux. Providentiellement Raphaël Imbert, nouveau directeur du Conservatoire Pierre Barbizet, a proposé pour les concerts ses locaux. Depuis plusieurs années les Master Classes du festival se tenaient déjà en ces murs.
C'est donc le cœur léger que le chroniqueur sortait de la Gare Saint Charles, admirant la Cité Phocéenne sous le soleil de (et du) midi. Direction le conservatoire Pierre Barbizet, pour découvrir les lieux pendant la balance du quartette de Jean-Pierre Jullian.
Et à 19h, c'est la salle Billioud, ancienne bibliothèque, qui accueille «Chiapas II», une création de Jean-Pierre Jullian qui conclut un triptyque consacré à cet état du Mexique, aux luttes politiques qui s'y déroulent, et à l'imaginaire qui s'y déploie. Le batteur est entouré de Guillaume Orti aux saxophones (alto & baryton), Étienne Lecomte aux flûtes (flûte traversière en do & flûte basse), et Tom Gareil aux vibraphone et marimba.
La musique mêle écriture (riche, serrée et d'une très grande qualité) et improvisation. Les solistes font merveille : Guillaume Orti, qui m'épate depuis maintenant plusieurs décennies, Tom Gareil, mêlant fougue et sobriété avec intelligence, et Étienne Lecomte, que je découvre. Le flûtiste manifeste une grande maîtrise des modes de jeu les plus variés, avec une grande pertinence musicale et une indiscutable inventivité.... La musique évolue à partir de segments répétitifs vers ces effervescences dont le jazz a le secret. C'est formellement très convaincant, et c'est profondément vivant : le jazz, en somme !
À 21h le concert se tient à l'étage du dessous, salle Henri Tomasi. Il accueille le trio de la flûtiste, vocaliste et compositrice Naïssam Jalal. Le trio, et son programme, s'intitulent «Quest Of The Invisible». Leonardo Montana est au piano, et Claude Tchamitchian à la contrebasse. La musique se déplie autour de l'invisible : mystique ou sacré, qu'il s'agisse de foi ou d'art, mais aussi de tous les sentiments humains qui construisent la relation à autrui, à la nature, au monde.... Intensité de la musique et de son interprétation, bel espace donné à ses deux partenaires, expression vraiment collective. On se sent un peu en lévitation, entre paradis perdu et espoir retrouvé dans la relation humaine : on est ensemble, dit la musicienne au public pour conclure. C'est beau comme une utopie quand elle se réalise.
Le lendemain, 23 septembre donc, la salle Billioud accueille le quartette de Jean-Marie Machado et son programme «Majakka». Il l'a enregistré sur un disque éponyme publié au début de l'année. C'est une relecture par le pianiste de certaines de ses anciennes compositions, tendance lyrique et mélancolique. Il s'est entouré d'orfèvres en art musical, élaboré autant qu'expressif : Jean-Charles Richard aux saxophones (baryton & soprano), Vincent Ségal au violoncelle, et Keyvan Chemirani au zarb et autres percussions. La musique circule, les rôles se déplacent, tous solistes, tous accompagnateurs stimulants. Les improvisations sont bluffantes, l'énergie est explosive, et dans les moments de recueillement, c'est beau comme du Schubert. Grande classe !
À 21h, translation du public, après une pause à la buvette-restauration, vers la salle Henri Tomasi. Finis la rigolade et les émois d'esthètes : ici l'on tacle et l'on cogne, on passe à la moulinette l'histoire de l'Opéra, avec le consentement de la soprano Tineke Van Ingelgem, figure remarquable de la scène opératique européenne.
Laurent Dehors, compositeur-arrangeur et multi-instrumentiste (clarinettes, saxophone, cornemuse, guimbarde, etc....), a dessiné le second volet de sa «Petite histoire de l'opéra». Il est entouré de ses complices de longue date : Jean-Marc Quillet (percussions à claviers et autres instruments), Michel Massot (trombone et soubassophone), et de partenaires réguliers depuis quelques temps déjà : Matthew Bourne au piano (et piano préparé) et le jeune Gabriel Gosse (guitare, banjo, batterie, percussions à claviers....
Monteverdi, Bizet, Vivaldi, Purcell, Donizetti, Bernstein et Mozart sont métamorphosés en objets musicaux 'désindentifiés' : c'est vivant, malin, 100% musical et assez pataphysique. La soprano fait merveille, même si l'acoustique de la salle, rétive à la sonorisation d'un tel tohu-bohu, ne l'aide pas toujours. On passe par un hypothétique opéra flamand (partition du directeur musical, livret de la cantatrice) qui tourne au rap, et cela finira en apothéose avec un air de La Flûte enchantée version free punk : jouissif !
Les jours suivants, le festival accueillera François Corneloup/Jacky Molard, David Chevallier, Christophe Monniot/Didier Ithursarry et Caravaggio Quartet. Sophie Chambon vous en donnera d'autres échos.
Le chroniqueur, heureux, a salué une nouvelle fois, dans une lumière différente (8h30, avant le TGV 6112 de 9h02), le parvis de la Gare Saint Charles. Arrivé à Paris Gare de Lyon, sur le quai, une drôle de surprise : des malabars harnachés opérant pour une société privée contrôlent les 'pass sanitaire' (on aurait donc voyagé avec des gens non vaccinés ni contrôlés ?). Malabars très polis (bonjour madame-bonjour monsieur), mais cette fantaisie militaire pré-fascisante fait un peu froid dans le dos....
Xavier Prévost