TRANSATLANTIC ROOTS
Bruno ANGELINI (compositions, piano, claviers, électronique) / Fabrice MARTINEZ (trompette, bugle, électronique) / Eric ECHAMPARD (batterie)
Label VISION FUGITIVE
www.visionfugitive.fr
Sortie du CD le 20 Août 2021
Concert à l’Ermitage le 8 octobre
Teaser Transatlantic roots – YouTube
Avec cette nouvelle création, le pianiste Bruno Angelini revient à ses premières influences musicales, déroulant la spirale de ses souvenirs. Ce répertoire à thèmes célèbre l’Amérique qu’il aime et certaines figures iconiques de cinéastes, écrivains, musiciens, danseurs qui se passent le relais dans l’histoire de l’album, chacune pouvant inciter à se remémorer les autres. Voilà le vrai terrain de jeu, l’espace de cinéma du pianiste (souvenez-vous en 2013 de son Move is) sans qu’il s’agisse d’illustration des photos du livret toujours soigné (c’est la signature du label, avec les couvertures peintes d’Emmanuel Guibert). Quarante pages de photos qui, mieux qu’un long texte introductif, résument les singularités, les partis pris, les champs d’action de militants engagés pour la liberté, le respect des droits civiques et plus récemment l’écologie. Ils forment la mosaïque superbe d’une Amérique digne d’admiration.
L'écriture musicale de Bruno Angelini, inscrite dans la tradition écrite occidentale, puise donc aussi dans l’improvisation et le jazz, sur son piano augmenté d’ effets électroniques et de claviers additionnels. Attiré par les deux cultures, les deux continents, le pianiste confesse avoir des “racines aquatiques”, jolie formule et il se livre volontiers à condition que l’on sache écouter.
Bruno Angelini a formé un trio lyrique de tisseurs de sons et d’alliages, pour amateurs d’élans du coeur et de ces brisures. Le terrain d’entente n’était pas difficile à trouver avec ses deux complices. Le pianiste cherche souvent des façons légères de formuler sa mélancolie, dans des compositions en clair obscur, impressions d’un drame imminent. Il est alors aidé par le son étouffé, étranglé de Fabrice Martinez dont la trompette et le bugle ne soufflent que de la mélodie, s’appuyant sur les plages harmoniques du pianiste, ses ostinatos, et le doux drumming, précis, attentif et toujours stimulant d’Eric Echampard.
Un exemple parfait, ce“Mal’s Flowers” dans un hommage qui n’est plus déguisé à ce maître du silence (“All alone, “Left Alone” ) qui a connu des duos d’accord parfait, de Billie Holiday à Jeanne Lee. Il n’oublie pas que Mal Waldron a écrit, entre autre, “Flower is a lovesome thing” dans un de ses nombreux albums, souvent en duo avec Steve Lacy. Bruno Angelini retrouve alors ces motifs obsédants, la réitération des notes, ces insistances qui colorent sombrement l’accompagnement. On n’en finirait pas de s’extasier sur les raffinements et autres nuances de la palette de Fabrice Martinez. Il ne nous rappelle personne en particulier et c’est ce qui le rend précieux. Impressionnante est son imagination, son aisance, sur tempo rapide où il maintient une articulation du phrasé. Pianiste et trompettiste se partagent le jaillissement mélodique, le discours de l’un soutenant, voire prolongeant le propos de l’autre.
Le pianiste ne quitte jamais la mélodie mais s’autorise des écarts, des fulgurances, surtout quand il s’agit de la violence de la ségrégation auquel répond alors le déluge de la batterie. On retrouve alors la force de frappe d’Echampard, pilonnant le terrain et réveillant dans nos mémoires les terribles images de lances à incendie et des chiens policiers envoyés contre les manifestants luttant pour les Droits civiques. Sensations physiques, rage plus ou moins rentrée, dans un espace d’improvisation modale avec cet autre thème, “Peaceful warrior”: autre jaillissement de la batterie sur Sitting Bull, le Sioux,” du peuple amérindien, hélas décimé. Ainsi ce sont les ambiances, les couleurs de ces scènes que se représente Angelini dans son film imaginaire, son cinéma intérieur où il bat la campagne, les espaces de la wilderness américaine.
Le cadre posé, l’intention définie par le compositeur leader, ses deux complices se lancent dans une improvisation précise, brossant une fresque collective, un portrait vibrant de l’Amérique, et de ses contradictions, de ses losers magnifiques à ses forces vives, positives, énergiques. Ainsi en est-il des mouvements contestataires qui ont toujours irrigué la contre-culture, la “civil disobedience”, la littérature sociale de Jack London, les musiciens qui ont innové comme John Cage. Et totalement actuel, un coup de chapeau sur “A Butterfly can save a tree”, à l’activiste Julia Butterfly Hill, luttant pour la protection des séquoïas. Bruno Angelini pense alors à la dégradation du climat : sur un ostinato au piano se développe le chant du bugle doux et plaintif, déchirant qui se brise, marquant l’anéantissement programmé. Empreint de gravité, ce voyage aux habiles transitions, n’empêche pas la cohésion du parcours d'un trio qui montre une belle vitalité.
Sophie Chambon