Deuxième concert de la saison Jazz sur le Vif, et affiche contrastée autour du saxophone. Un petit tour en milieu d'après midi au studio 104 de Radio France, pour découvrir que la balance du groupe de Steve Coleman se fait avec les seuls bassiste et batteur. Le manager de tournée teste aussi les retours pour les absents, mais il faudra manifestement une balance à l'entracte, là où l'usage prévoit un seul éventuel raccord....
Pendant que le groupe de Sophie Alour effectue sa balance, la saxophoniste-flûtiste est dans la salle, devant la console de sonorisation, pour évaluer la progression des opérations.
Elle sera sur scène, avec son groupe, moins de deux heures plus tard
SOPHIE ALOUR «Joy»
Sophie Alour (saxophone ténor, flûte, composition), Raphaëlle Brochet (voix), Abdallah Abozekry (saz, voix), Damien Argentieri (piano), Philippe Aets (contrebasse), Donald Kontomanou (batterie)
Paris, Maison de la Radio (et de la Musique), 2 octobre 2021, 19h30
Le groupe est celui du disque «Joy», publié début 2020. Sans percussionniste, mais augmenté de la voix de Raphaëlle Brochet, funambule des traditions vocales de tous les mondes. Et en lieu et place du oud, et du oudiste Mohamed Abozekry, c'est désormais son frère Abdallah, qui joue sur saz, dont il est un virtuose. Le répertoire est celui de ce disque, augmenté d'un ou deux titres venus du suivant, «Enjoy», publié en mai dernier. La musique mêle les sources moyen-orientales et le mouvement inflexible du jazz ; ses sonorités aussi. Et la typicité de ses improvisations. On est porté par cette allégresse qui parcourt les langages musicaux avec ferveur. Large espace d'expression pour chaque membre du groupe : la saxophoniste-flûtiste est loin de 'tirer la couverture', à l'écoute, et manifestement toute à sa joie de coordonner cette effervescence. Au troisième titre elle prend la flûte, et son improvisation évolue entre deux rives, orient et jazz. Elle nous offrira aussi avant le dernier morceau une courte ballade, avec la basse, et insertion douce du piano. Et après Joy, le bien nommé, qui conclut cette première partie, un rappel chaleureux nous vaudra Fleurette égyptienne, avec une pensée pour Duke Ellington. Je dois avouer que, si les disques ne m'avaient pas totalement convaincu, le concert en revanche m'a conquis
Après l'entracte, c'est le moment d'accueillir Steve Coleman. Alors que le public commence à regagner ses fauteuils, le vocaliste, le trompettiste et le saxophoniste procèdent à la balance qu'ils avaient éludée en milieu d'après-midi. Public étonné.
L'un des musiciens précise que c'est le 'soundcheck'. Rapidement et bien fait, mais un peu cavalier peut-être : on imagine un groupe français faisant de même aux USA, au Canada ou en Allemagne pour un concert également capté pour la radio : impensable !
STEVE COLEMAN «Five Elements»
Steve Coleman (saxophone alto), Jonathan Finlayson (trompette), Kokayi (voix), Anthony Tidd (guitare basse), Sean Rickman (batterie)
Paris, Maison de la Radio (et de la Musique), 2 octobre 2021, 21h
C'est presque rituel : des cellules mélodico rythmiques obstinées mais mobiles, jouées par l'un de musiciens, reprises par les autres, et des bribes de phrases qui se télescopent jusqu'à l'envol des solistes, en solitaire ou en escadrille. Le tandem basse-batterie nourrit une pulsation qui n'a rien de schématique : sous la force pulsatoire s'épanouit tout un univers d'accents, de rythmes pluriels et entrecroisés. Nos pieds bougent sur le temps qui est en même temps hors du temps. Et à la faveur d'une salve d'applaudissements qui conclut une première séquence, Steve Coleman repart en douce mélancolie : derrière le faux-nez de Jitterbug Waltz, qui est en fait le couplet de Stardust, on va vers ce standard.... jusqu'à ce que la machine rythmique reparte de plus belle. Kokayi, plus qu'un rappeur ou un slameur, est un chanteur à l'ambitus volontairement restreint qui déploie une prosodie (très) syncopée qui tient de la harangue et du manifeste poétique. Il s'y entend pour attiser les braises ! Et le concert continue, de surprise en rebond, nous tenant en haleine. Plus loin le sax et la trompette lancent des fusées parkéro-gillespiennes. Je crois aussi entendre un souvenir coltranien. Bref c'est plus que vivant : haletant, débordant d'énergie et peuplé de pensée musicale, en toute urgence. Cela fait longtemps que j'écoute Steve Coleman en concert et, une fis de plus, je jubile....
Xavier Prévost
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Les deux parties de ce concert seront diffusées sur France Musique le samedi à 19h dans l'émission 'Jazz Club' d'Yvan Amar : Steve Coleman le samedi 30 octobre 2021, et Sophie Alour le samedi 15 janvier 2022