Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
17 novembre 2021 3 17 /11 /novembre /2021 13:32

C'est bien d'une aventure qu'il s'agit : un festival qui va chercher des pépites de singularité où d'autres traquent le succès, la jauge et la renommée. Cela dit, il y a du monde dans les salles, le public manifeste son enthousiasme, et la réputation du festival est auréolée d'éloges.

Au quatrième jour du festival, dont l'Amie Sophie Chambon vous a narré les journées 2 & 3, le voyage commence autour de midi avec un photo-concert

©Maxim François

CHAMPS de BATAILLE

Photo-concert nourri des photographies de Yan Morvan, mises en projection in vivo par Loïc Vincent

Christophe Rocher (clarinette basse & clarinette), Vincent Courtois (violoncelle), Edward Perraud (batterie)

Nevers, Théâtre municipal, 10 novembre 2021, 12h15

On retrouve ici le goût du programmateur, Roger Fontanel, pour les aventures musicales transdisciplinaires. Celle-ci est née du désir de Christophe Rocher de tenter une fois encore de cousiner avec un autre mode d'expression, de l'impulsion de Vincent Courtois pour se diriger vers les photos de Yan Morvan, et aussi du goût pour la photo d'Edward Perraud, qui en produit de très belles, sur son site et ses pochettes de disque. À l'origine, un livre du photographe de guerre Yan Morvan, intitulé Champs de bataille (édition Photosynthèses, 2015) et une exposition en 2016 aux Rencontres de la photographie d'Arles (exposition reprise à la Médiathèque de Nevers depuis le 6 novembre et jusqu'au 18 décembre). Ce livre et cette exposition montrent les champs de bataille de toutes les époques, de l'Antiquité jusqu'au vingtième siècle. Et le montage de photos pour le concert, réalisé par Loïc Vincent, associe ces images à d'autres, captées sur le vif par le photographe, depuis les années 80, sur les scènes de conflits. La projection des images se fait au pas-à-pas, par Loïc Vincent installé au bord du plateau, côté cour, en liaison avec le déroulement de la musique, en partie improvisée. Cette création photo-musicale aurait dû voir le jour au Musée de l'Armée des Invalides, mais la pandémie fit qu'il en alla autrement. Plusieurs fois donné dans différentes salles, le concert-spectacle aboutira au Musée de l'Armée l'année prochaine.

Cela commence par une image, réalisée en 2004 avec une chambre photographique grand format, pour une série consacrée aux 60 ans du débarquement : une plage normande. La musique s'installe, sur les images et entre elles, entre mélancolie, empathie, compassion et parfois avec des accents de révolte. Quatre thèmes écrits vont irriguer un parcours jalonné de beaucoup d'improvisations, collectives ou individuelles. Nous sommes saisis, tant par la force des images que par l'intensité de la musique. Parfois la musique suscite le surgissement d'une image, et souvent elle fait écho, plus en contrepoint qu'en surlignage, à la force de la photo, à sa beauté. Car une image de guerre peut être belle, c'est tout ce qui fait l'ambiguïté de notre position de spectateur-auditeur qui se démarque de tout voyeurisme. On est au carrefour de deux sources d'émoi : image et musique. Belle expérience, menée avec art, par toute l'équipe. Intense. Très intense !

 ©Maxim François

Le même jour à 18h Alex Dutilh était dans le hall de La Maison (de la culture), en direct sur France Musique pour son émission Open Jazz, avec des artistes du festival.

À 18h30 au théâtre Sylvain Kassap présentait son nouveau programme 'Phœnix', en création, avec Aymeric Avice, Christiane Bopp, Sophia Domancich, Hélène Labarrière et Fabien Duscombs

 ©Maxim François

Parfums mêlés de Jazz et de free, de rock progressif et de musique du monde, avec un clin d'œil en début de concert à la musique contemporaine, beaux envols des solistes : encore un peu vert pour cette toute première, mais déjà prometteur. Reprise le 17 novembre au festival Jazzdor de Strasbourg, et le 19 au Comptoir de Fontenay-sous-Bois.

©Maxim François

Deux heures plus tard, dans la grande salle de La Maison (de la culture....), l'ensemble du pianiste norvégien Christian Wallumrød  : archi-minimaliste, joué par décision de l'artiste sans sonorisation dans une très grande salle, avec quelques bouffées instrumentales évoquant la musique baroque anglaise. Et surtout une foule d'effets électroniques déjà archaïques (on se serait cru dans la transition, au début des années 50, entre les sons concrets purs et durs et l'émergence des sons électroniques. Déroutant, mais surtout pas vraiment convaincant.

©Maxim François

En seconde partie du concert, dans un registre radicalement différent, une musique hyper-expressive, fédératrice, et pourtant d'une subtilité infinie : le duo VINCENT PEIRANI-ÉMILE PARISIEN. Comme leur récent disque «Abrazo», c'est un patchwork de musiques populaires, jouées avec un science et une verve infinies : irrésistible !

 

©Maxim François

Le lendemain 11 novembre, c'est un festival dans le festival : 5 groupes sur la journée, débauche de diversité musicale. À 12h15 au Théâtre municipal, plaisir de découvrir sur scène Les Enfants d'Icare, quatuor à cordes rassemblé par le violoniste Boris Lamérand, qui signe le répertoire. L'ambition est de mêler tradition du quatuor, syncopes et expressivité du jazz, parfums des musiques du monde et prospective des musiques dites contemporaines. Pas toujours convaincant, un peu fragile dans l'homogénéité des cordes, mais cependant honorable.

Moins de 3 heures plus tard, dans la salle rénovée du Café Charbon (ce concert était inaugural), nous avons écouté le groupe Curiosity, rassemblé par le guitariste David Chevallier pour une musique inspirée par deux de ses maîtres : Kenny Wheeler et John Taylor. Magnifique d'élaboration, mais aussi de liberté : à l'ancien trio -10 ans d'âge- du guitariste (avec Sébastien Boisseau et Christophe Lavergne) le groupe associe le trompettiste finlandais Tommy Nikku, rencontré dans une tournée septentrionale. Inédit, et très beau.

©Maxim François

Puis c'est à 18h30, à nouveau au théâtre, le groupe Velvet Revolution du saxophoniste Daniel Erdmann, avec Théo Ceccaldi (violon) et Jim Hart (vibraphone). Mélange de langueurs saxophonantes, d'éclats violonistiques (en position guitare ou à l'archet) et de dialogues avec le vibraphone, c'est musicalement riche, infiniment vivant, avec de très beaux moments.

©Maxim François

20h30, c'est à La Maison (de la culture), d'abord avec le Collectif La Boutique, sous la houlette du trompettiste Fabrice Martinez, et en invité (comme sur le disque «Twins») Vincent Peirani. Quartette de jazz plus quatuor de bois cet ensemble, né de l'imagination de Jean-Rémy Guédon joue la musique de son créateur, réarrangée par le trompettiste. Malgré une sonorisation d'un spectre inadéquat (beaucoup de basse, excès d'aigus, et un vrai déficit de médium....), j'ai pris plaisir à écouter cette musique singulière, valorisée par de bons solistes.

©Maxim François

En seconde partie le contrebassiste Kyle Eastwood présentait son très classique quintette d'esprit néo-bop, avec le répertoire de son récent CD «Cinematic». Des musiques empruntées au cinéma, évidemment : composée par Bernard Hermann, Ennio Morricone.... ou lui-même, pour le film Gran Torino de son père Clint Eastwood. De bons solistes, une belle énergie et de bon moments. Une seule faiblesse-relative- quand le contrebassiste s'empare de guitare basse. Beau succès, mérité.

©Maxim François

Le lendemain 12 novembre, la journée commençait au théâtre dès 12h15 avec le trio du tromboniste Yves Robert. Un trio qui affiche vingt ans d'âge, et sait encore nous surprendre avec le répertoire de son récent disque «Captivate». Cyril Atef à la batterie insuffle à la musique cette énergie presque folle qui puise à toutes lessoruces muscales. Bruno Chevillon à la contrebasse conjugue magnifiquement pulsation et musicalité. Quant au tromboniste, il surfe sur ce beau nuage de rythmes entrecroisés, d'effets électroniques et de surprises sonores, le tout composant un véritable œuvre en mouvement perpétuel. Intense, et beau.

©Maxim François

À 18h30, au même endroit, c'est un autre trio, tout aussi singulier : Space Galvachers. Autrement dit trois musiciens très attachés au Morvan et à ses traditionnels bouviers (les galvachers) qui transportaient jadis, avec des attelées de bœufs, le bois du Morvan vers le Nord ou le Sud de la France. La musique n'a rien à voir avec la nostalgie territoriale. Elle se nourrit d'une itinérance plus large, celle qui associe les sonorités d'aujourd'hui aux musiques de tous les mondes. Clément Janinet au violon (et à la mandoline électrique), Clément Petit au violoncelle, et Benjamin Flament aux percussions (dont certaines, de son invention, prodiguent des sonorités nouvelles), nous ont offert une sorte de voyage dans l'imaginaire de la musique, avec une fougue et une inventivité qui forcent l'admiration.

©Maxim François

Retour le soir à la Maison de la culture pour écouter le duo de Joëlle Léandre et Pascal Contet. Un duo contrebasse-accordéon qui se retrouve régulièrement, en totale immersion dans l'improvisation. De petits miracles musicaux se produisent en permanence, surgis d'une certaine intuition de l'instant, d'une écoute mutuelle d'une rare intensité, et d'une folle liberté. Chaleureusement salué par un public qui, venu pour Michel Portal, était peut-être moins coutumier de cet exercice d'improvisation sans filet.

©Maxim François

Puis c'est Michel Portal qui nous préente son groupe, celui du disque «MP85», un CD dûment louangé et couvert de trophées. Le tromboniste de l'album, Nils Wogram, est remplacé par Samuel Blaser, ce qui n'est pas pour me déplaire. Bojan Z tient les claviers (et pilote aussi le répertoire), Bruno Chevillon est à la contrebasse et Lander Gyselink office à la batterie. Répertoire typiquement portalien, qui mêle les influences pour en faire son miel. Belle énergie, grands solistes. Beau concert donc, avec hélas encore une réserve sur le son : même défauts que la veille (beaucoup de basses et d'aigus, et un grand creux dans le médium...). Devrais-je passer un audiogramme ?

 

Dernier jour du festival : nous sommes le 13 novembre. C'est, pour beaucoup d'entre nous, une date chargée de souvenirs contrastés. C'est ici que, le 13 novembre 2015, au sortir d'un très beau concert d'Enrico Rava, nous avons appris l'horrible massacre du Bataclan.

©Maxim François

La journée commence au théâtre, en retrouvant le violoniste Clément Janinet avec son groupe La Litanie de Cimes. Avec lui, la clarinettiste Élodie Pasquier et le violoncelliste (parfois vocaliste) Bruno Ducret : une belle brochette de créateurs tout terrain, aussi inventifs qu'audacieux. Ses sources sont autant la musique répétitive que l'improvisation aventureuse, l'énergie rock, voire la musique de chambre, sur les libertés rythmiques chères au jazz.

 

©Maxim François

Puis c'est un retour à la nouvelle salle du Café Charbon, pour un concert-spectacle intitulé Connexions. Il est issu d'un projet musical du saxophoniste Lionel Matin et du batteur Sangoma Everett, qui ont rejoué à leur manière la musique écrite en 1970 par Oliver Nelson pour le disque «Afrique» de Count Basie. En temps réel, au bord du plateau, le dessinateur de BD Benjamin Flao dessine et peint. Une caméra projette sur le fond de scène l'œuvre graphique en cours, tandis que les musiciens jouent et que la danseur Willy Razafimanjary improvise. Comme souvent le danseur exécute ses figures au sol, seul le premier rang, et le gradin en fond de salle, voient l'entièreté du spectacle. D'où je suis une partie échappe à ma vue. Musicalement décevant. L'important n'est pas que l'on soit loin du Basie revu par Oliver Nelson, mais que le discours musical tienne en peu de formules, jouant sur l'intensité. Esthétiquement peu lisible, pour le spectateur que je suis....

©Maxim François

Bouquet final à la Maison de la culture avec d'abord, à 20h30, le quartette Majakka du pianiste Jean-Marie Machado. Musique inspirée par les phares (le sens de ce mot en finnois), et plus largement par un certain ailleurs. Mélancolique souvent, très bien composé, avec de belles envolées ses saxophones (baryton et soprano) de Jean-Charles Richard, et des percussions de Keyvan Chemirani. Et solide pulsation dialoguante du violoncelliste Vincent Segal.

 

Fin de soirée en feu d'artifice(s) avec le trio qui rassemble Trilok Gurtu, Omar Sosa et Paolo Fresu.

Le son encore problématique (mêmes symptômes), des artistes loin les uns des autres, et un dialogue assez formaté, où chacun envoyait son message. Peu de chaleur, pas beaucoup de musique (au sens profond). Une sorte d'événementiel sans âme qui m'a laissé de marbre ; et pourtant je suis fan de Paolo Fresu depuis 1989, et j'ai quelques bons souvenirs de concerts de ses deux partenaires.

Xavier Prévost

 

Partager cet article
Repost0

commentaires