Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
8 novembre 2021 1 08 /11 /novembre /2021 16:34
D’Jazz Nevers : Oakland au Théâtre municipal

D’Jazz Nevers : Oakland au Théâtre municipal

 

Arrivée précipitée juste avant le concert de 17 heures, ce dimanche 7 novembre, deuxième jour de l’édition 2021 de ce festival bourguignon inscrit dans le paysage du jazz et des musiques actuelles depuis 35 ans.  Au programme, Oakland, un spectacle du violoncelliste Vincent Courtois et de l’acteur Pierre Baux, inspiré de Martin Eden de Jack London. Un portrait textuel, musical, sous-tendu de réminiscences, de vibrations croisées à partir de l’oeuvre de Jack London.

Mais revenons au début de l’histoire:

Jack, c’est ainsi que s’appelait le tout premier projet du violoncelliste Vincent Courtois en décembre 2018, découvert à l’AJMI d'Avignon, la musique n’étant pas encore enregistrée à la Buissonne voisine. Il allait s’étoffer et donner Love of life, réalisé avec le trio Medium, les saxophonistes Robin Fincker et Daniel ErdmannAvec Oakland à Nevers, j’ai la sensation d’assister à un aboutissement, à la création en perpétuel devenir, la fameuse “work in progress”, et de comprendre un peu comment  fonctionne le violoncelliste, qui, parti de sa découverte tardive et éblouie de Jack London en 2016, a vécu une nouvelle aventure jusqu’à ce  concert spectacle. Certes, le trio a une part plus réduite  que dans Love of Life, où l’engagement était total, les deux saxophonistes partageant les choix et aspirations du violoncelliste, chacun écrivant des compositions selon son ressenti à la lecture de certains livres et nouvelles de London. Dans Oakland, le trio souligne le texte, scénarisé et lu par Pierre Baux, chanté et parlé par John Greaves, sans surligner, en parfaite complicité.

 

Martin Eden

Je dois écrire parce que c’est moi, et je sais ce qui est en moi.

 

En 1907, Jack London s’embarque avec Charmian sa femme pour les mers du Sud sur son bateau, la Snark, pour écrire son roman le plus intime, une autobiographie (à peine) romancée, Martin Eden. A bord, il fait bien plus que mille lignes par jour comme il se l’était promis. Ecrivain et personnage se confondent alors.

 

Oakland : un engagement fort

Ils sont cinq pour un spectacle-concert, qui n'est pas une illustration façon ciné-concert ou théâtre musical. Les musiciens ont préféré se concentrer sur les images musicales qui allaient naître, en véritables compositeurs et traducteurs de cette matière vivante. Mots, images, sons fusionnent lors de leurs improvisations. L'axe narratif tourne autour de scènes décisives : le musicien Vincent Courtois et le comédien Pierre Baux ont découpé à vif dans l’oeuvre, choisi leurs morceaux emblématiques qu'ils ont mis ensuite en musique et en chants. Le récitant, c’est Pierre Baux, miroir de John Greaves. Les deux langues alternent, se chevauchent, le français dans sa traduction, plus châtié que l’anglais rude du Gallois qui évoque le langage direct et cru du prolétaire Martin Eden alias Jack London. Le texte est ainsi travaillé à deux voix qui se répondent et se complètent. Pierre Baux fait ressortir le travail du texte à partir d’un ressassement des versions possibles, jamais totalement satisfaisantes. John Greaves anime cette langue crue et en fait sonner la syntaxe maladroite.

La force de ce spectacle est d’être complet : de la mise en lumière avec goût par Thomas Costberg ( j’ai encore dans l’oeil un soleil flamboyant, cercle rouge orangé sur le bleu de l’écran en fin de pièce) à la scénographie qui joue habilement de la disposition des musiciens.

Le violoncelliste assis au centre est entouré de Daniel Erdmann au ténor à sa gauche, de Robin Fincker à la clarinette à sa droite; si Erdmann se balance d’avant en arrière, Fincker tourne volontiers de droite à gauche, réglant ainsi toute une chorégraphie entre eux, Courtois regardant alternativement l’un et l’autre. A un moment, Robin Fincker qui s’est saisi du saxophone est rejoint sur la scène par Daniel Erdmann et tous deux ne font plus qu’un, entourant le violoncelliste qui joue en pizz ou à grands traits d’archet. La musique accessible en dépit d’une réelle exigence, est composée de fragments obsédants qui deviennent vite tournerie. Le son du trio conjugue élégance et rudesse, dépouillement et éclats de violence, le registre grave unifiant l’ensemble, ouvrant des passages entre les genres, d'une musique de chambre à la pop, au folk.

Chacun a sa porte d’entrée pour évoquer l’oeuvre de “celui qui a mené sa vie comme un galop furieux de quarante chevaux de front” ( Michel Le Bris). London écrivait en résonance avec ce qu’il avait vécu : marin, chasseur de phoques, boxeur, mineur, correspondant de guerre en Corée, blanchisseur, vagabond et “brûleur de dur”. Autodidacte génial, il fit son apprentissage d'écrivain en réunissant ses expériences. Ce “travailleur de la plume”, ouvrier dans l’âme a vécu le rêve américain et son envers. Une mise en abyme qui ne peut que troubler à la lecture de Martin Eden. Défaite de l’individualisme? Désenchantement romantique d’un écrivain réaliste? Deux univers irréconciliables, voilà le drame de cet écrivain sorti des bas fonds. Il ne pouvait choisir entre ses appétits, ses révoltes, ses ambitions et désirs.

Comme il faut avoir un angle d’attaque, c’est ce cri de révolte du prolétaire contre l’esclavage qu’imposent le travail avec les machines dans des conditions surhumaines que cette histoire nous conte. Plus que l’intrigue sentimentale, l’attraction irrésistible, poétique, sensuelle et charnelle pour une jeune fille de la hauteune fleur d’or pâle sur une tige fragile” que Martin Eden veut conquérir. Pour y réussir, il décide de s’instruire et plonger dans la culture avec l'avidité et la rage qu'il met dans tout ce qu'il entreprend.

 

Vincent Courtois expliquera, lors des Rencontres animées par Xavier Prévost après le spectacle, au foyer du théâtre que le fil rouge de cette écriture est la référence au poète décadent anglais du XIXème, pour le moins obscur aujourd’hui, Algernon Swinburne : dès le premier chapitre, avant même de rencontrer Ruth, Martin Eden découvre un livre de Swinburne qui déclenche en lui le désir passionné de s'instruire et de lire. Bien plus tard, alors qu’il est devenu célèbre, ses manuscrits ayant enfin été acceptés, lors d’une traversée sur la Mariposa, où il est invité d’honneur, désabusé, il songe encore à Swinburne. La réussite a mis en péril son identité même. Comment survivre à la gloire sans se perdre soi même? En se remémorant le poème de Swinburne qui mit fin à ses jours, il décide de ne plus résister à l’appel de la mer.

La mort ne faisait pas souffrir. C’était la vie cette atroce sensation d’étouffement: c’était le dernier coup que devait lui porter la vie….Et tout au fond, il sombra dans la nuit. Ça il le sut encore. Et au moment même où il le sut, il cessa de le savoir.

Lors de cette rencontre où intervint finement Noël Mauberret, président de l’association des amis de Jack London, Roger Fontanel, le directeur du festival Djazz Nevers justifie la raison d'être d'un tel moment : le spectacle doit être total, les festivals ne plus rester cloisonnés à la seule musique. Quoi de plus merveilleux en effet que cette transversalité artistique qui donne envie de se replonger dans un livre après un concert enthousiasmant ? Il est aussi question de fidélité dans l’engagement et le travail de Vincent Courtois avec son trio depuis douze ans, avec Pierre Baux (ils ont déjà mis leurs forces en commun pour Tosca, adapté à leur manière Raymond Carver). Mais aussi de la fidélité de Nevers et de son festival aux projets que Vincent Courtois nomme “répertoire”. Quand on aime un artiste, on le suit. 

Oakland enfin est bien plus qu’un décor, car si London y revient toujours, Vincent Courtois, dès l’émergence de l’idée à Avignon eut envie de pousser plus loin, de partir sur les traces californiennes de l'écrivain, d’explorer son port d'ancrage et de jouer un spectacle complet avec des textes lus et interprétés par des comédiens amis, et pourquoi pas, des inserts de photos et de montages de films de London lui même. Il a réalisé son envie et vécu son rêve…

Merci à MAXIM FRANCOIS pour les photos!

Sophie Chambon

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires