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13 février 2022 7 13 /02 /février /2022 17:29
HEALING ORCHESTRA       FREE JAZZ FOR THE PEOPLE

HEALING ORCHESTRA FREE JAZZ FOR THE PEOPLE

 

 

Paul WACRENIER : direction et composition, piano, vibraphone

Invité Sylvain Kassap : Clarinette et Clarinette basse

 

Fanny MENEGOZ : flûtes

Sarah Colomb : violon

Xavier BORNENS et Leo JEANNET: trompettes,

Arnaud SACASE sax alto, Jon VICUNA: sax baryton, Jean-François PETITJEAN: sax ténor

Victor Aubert /Blaise Chevalier: contrebasse,

Mauro BASILIO: violoncelle,

Benoist RAFFIN: batterie, Sven CLERX: percussions

Prise de son, mixage, mastering : Ananda Cherer

 

 

On est dans le vif du sujet, le vif d’un jazz jeune et vigoureux avec le Healing Orchestra qui, sur le label LFDS, sort un double album dont la genèse a été quelque peu perturbée par la pandémie. Le projet de cet ensemble depuis sa création est de donner à entendre des formes diverses du  free jazz, musique libre, organique : The Fraternity Suite ( sur le CD2 ) composée de trois parties Fraternity, A rare but pleasant feeling, Blooming in Tough days fut enregistrée en live en janvier 2020 lors du Festival SONS D’HIVER, au Théâtre Jacques Carat de Cachan, deux partenaires essentiels de l’enregistrement. Des jours difficiles allaient arriver, puisque les autres compositions ont été captées sans public au Petit Faucheux de Tours, autre soutien précieux, en octobre 2020. Une histoire mouvementée pour ce double album, enfin sorti le 1er février 2022.

Il faut écouter sans a priori cette musique de Paul Wacrenius, pianiste, percussionniste (qui s’est aussi intéressé à la bombarde bretonne, à la Kalimba, M’bira de la tradition Shona, Likembe des musiques urbaines congolaises et Guembri), compositeur, à la direction de cet orchestre Grands Formats de 13 musiciens épatants.

Free Jazz for the people s’adresse à tous, réjouissant, flamboyant, baroque au sens d’irrégulier, en équilibre instable; l’orchestre déconstruit, exacerbe jusqu’au débordement, faisant craquer les coutures, mais aura aussi un effet apaisant, si ce n’est curatif, sur les plages douces, dans cette ballade dédiée à Mal Waldron, “Spirit of Mal”, où le collectif accompagne de façon totalement improvisée.

Une acalmie provisoire également après le déluge du premier morceau “Article 35 de l’an 1”, tout un programme en soi, un manifeste de lutte révolutionnaire, puisqu’il s’agit d’une référence à la constitution, jamais appliquée de l’an 1, soit 1793.

Une esthétique parfaitement définie et coordonnée dès la pochette dont on apprécie les vibrations colorées, le graphisme dense, joyeux de Maïda Chavak. A l’intérieur, la palette explosive et lumineuse, graffitée de citations de William Parker (Revolution is a life-time process...We live, breath, think and walk in the rhythm of this vision…) entoure les notes toujours excellentes d’ Alexandre Pierrepont qui prolonge et développe les mots de William Parker.

La beauté de la forme est démesurée et elle coule à flot. 

Ces mots lourds de sens engagent un programme structurant, radical et pourtant simple. La forme vient après, seulement vecteur de cette vision. La connection est faite,  pont entre l’AACM et Paris et le leader Paul Wacrenier fait partie de la deuxième génération de The Bridge, entreprise de longue haleine, réconciliatrice des musiciens de free américains et européens. Une aventure initiée par Pierrepont, réflexive et réversible, une succession de voyages aller-retour, de traversées de l’Atlantique avec des équipages différents pour chaque sens! C'est une démarche unificatrice pour une musique qui suit les recommandations, jamais édictées en précepte, prônant débordement, ensauvagement.

Les musiciens s’exécutent, dirigeant par exemple notre attention vers ce “Confluences”, qu’il faut écouter toute affaire cessante, la pièce la plus folle : tous se jettent dans la bataille du son, se jouant de la structure qu’ils respectent pourtant dans une succession de solis vifs et de merveilleux unissons de tous les pupitres comme dans un vrai big band.

La rythmique ( batterie, percussions, vibraphone du leader qui abandonne aussi son piano) est souple et soutenue, en tension permanente; les cuivres musclés, les trois sax sonnent comme un seul homme et les deux trompettes strient la matière sonore, sans oublier les cordes, les flûtes et le chant de Fanny Menegoz.

La mise en scène virevoltante et inspirée souligne un dérèglement réglé justement car dans cet engagement collectif, sans direction établie, cet élan très impulsif, les arrangements sont de la troupe. Et pourtant ça ne part pas dans tous les sens. Dans ce champ passionnément complexe, l’interprétation fièvreuse obéit à des choix tranchés, le jeu paraît débridé alors que l’ensemble très soudé permet à chacun de se retrouver et de vivre pleinement sa partie au sein du groupe. Le son jaillit dans tous ses états et éclats dans des textures rugueuses, mais soyeuses grâce aux cordes ou aux flûtes.

 Virevoltant dans la rigueur, cette musique ardente dans ses commencements est à savourer aussi dans une introspection plus douce ( “Pouvoir du dedans”), exaltée par les solos du vétéran qui garde intacte la flamme, le clarinettiste Sylvain Kassap, suivi des solos respectifs de Blaise Chevallier à la contrebasse, Mauro Basilio au violoncelle, et Sarah Colomb au violon. Voilà magnifiée une science subtile des couleurs et de leurs nuances, des rencontres de timbres insolites qui fusionnent bien.

Accrocheur, pugnace, tendre aussi, cet orchestre gravit des pentes abruptes, expérimentales qui ne déplairont pas aux non initiés. Si cet album mérite l’écoute, entonnons une fois encore le slogan ajmien

Le meilleur moyen d’écouter du jazz c’est d’en voir! 

 Voici donc indiquées les dates des futurs concerts, près de chez vous peut-être, car ces performances méritent d’être suivies en live où l’on saisit pleinement la teneur poétique, la maîtrise à un tel niveau d’intensité et de justesse de ces formes ouvertes, suffisamment libres pour qu’on les reprenne et retravaille, qui se démultiplient, construisent en déconstruisant, soufflent et apaisent aussi. Tous ces musiciens portent ce style à son acme, à la suite des grands qui ont montré la voie, le Liberation Orchestra, le supersonique et vrombissant Sun RA, et Charles Mingus dans ses workshops impulsifs, en recherche d’un certain désordre mis en scène avec soin.

Une musique addictive, catharsis à coeur et ciel ouvert qui fonctionne sur une durée, justement adaptée. Plus que réjouissant!

Sophie Chambon

 

4 Mars 2022 Le Petit Faucheux, Tours (37)

29 Mars 2022 au Studio de l'Ermitage, Paris 

26, 27 & 28 mai 22 résidence-concert à La Fraternelle, Saint-Claude (39)

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