JAZZ SOUS LES POMMIERS, 41ème édition : la vie d’avant, c’est maintenant !
Que c'était bon de retrouver enfin la vie des festivals à l'occasion de la 41ème édition de Jazz sous les pommiers à Coutances ! La vie qui reprend, du monde aux buvettes, des néophytes curieux qui font la queue pour découvrir des musiques qu'ils ne connaissent pas forcément, des rires, de la joie et du bonheur de retrouver ce monde que nous aimons tant.
De notre côté nous avions ciblé les deux derniers jours du festival où un jeune artiste était en résidence : le tromboniste Fidel Fourneyron.
Ben, tiens justement puisqu’on en parle.....
Vendredi 27
Fidel Fourneyron (création : Cuatro Camino)
Fidel Fourneyron (tb), Vincent Peirani (acc), Ana Carla Maza (cello, voix), Arnaud Dolmen (dms)
Le tromboniste nous proposait ici de découvrir un instrumentum très original (accordéon, violoncelle, trombone et batterie) pour un quartet totalement inédit qui n'avait jamais joué ensemble. Sur la base de composition de chacun, les quatre jouent sur les harmonies douces des motifs gorgées de soleil caribéen ou sud-américain. Et cela fonctionne à merveille.C'est délicieux de bout en bout. Enchanteur et presque joyeux. Remède absolu à la déprime ambiante. Dans cette histoire, la violoncelliste cubaine Ana Carla Maza ( qui pour l'occasion fait jouer Fidel, ça ne s’invente pas !), occupe la scène avec un charisme lumineux. Le public est conquis et sous le charme de cette magnifique création où les timbres se mêlent sur le groove tranquille d'Arnaud Dolmen. Un bonbon pour commencer notre tournée des concerts !
Tigran Hamasyan
Tigran Hamasyan (p), Matt Brewer (cb), Justin Brown (dms)
L'affiche annonçait Brad Mehldau mais suite à un empêchement du pianiste, c'en est un autre qui est venu occuper la salle Marcel Hélie, le pianiste arménien Tigran Hamasyan. Accompagné de Matt Brewer à la contrebasse et de Justin Brown à la batterie ils venaient jouer le dernier album du pianiste autour des grands standards (Laura, I didn't know what time it was, Softly as in a morning sunrise etc.....). Ce fut alors un exercice de style brillantissime de réinvention, de recherches harmoniques le tout dans une débauche de virtuosité et de digressions. Peut-être trop d'ailleurs d'autant que la prise de son (notamment de Matt Brewer) venait un peu gâcher la fête et qu'au-delà de l'émerveillement devant tant de technique et d'intelligence musicale, l'émotion laissait place à la contemplation admirative d'un exercice de style bluffant mais un peu froid.
@Jmgelin
Tineke Postma
Tineke Postma (as,ss), Petter Eldh (cn), Tristan Renfrow (dms), Hildegunn Øiseth (tp)
Autant le dire tout de suite : nous avions été si conquis par son dernier album ("Fraya") que nos attentes étaient à la hauteur de ce concert qui se tenait au cinéma de Coutances. Et elles furent totalement comblées. D'abord par l'écriture de la saxophoniste néerlandaise qui navigue entre l'esprit d'Ornette Coleman des premiers quartets et les structures d'un autre Coleman (Steve). Totalement fascinante, sa musique parvenait à capter un public pourtant pas forcément averti et dont les habitudes de l'easy listening se trouvaient ici bousculées. Sa thématique, autour des déesses et des femmes de la mythologie ou de l'histoire antique allant de Freya déesse de la fertilité à Aspasie, la femme de Périclès offre un continuum entre quatre musiciens télépathiques et une vraie exploration musicale. Le quartet pianoless fonctionnait à merveille porté notamment par un contrebassiste hyper impliqué et d’une folle énergie et un batteur ultra concentré et coloriste. Hildegunn Øiseth à la trompette remplaçait ici Ralph Alessi et, malgré une entame en demi-teinte affichait par la suite un son et une personnalité aussi frêle qu’émouvante. Tineke Postma joua aussi quelques morceaux de son futur album à paraître. Et l’on quittait les lieu avec une envie folle de le découvrir très vite.
@Jmgelin
Samedi 28
Suzanne
Pierre Tereygeol (g, vc), Hélène Duret (cl,vc), Maëlle Desbrosses (alto, vc)
( « Berthe » - Jazzebre)
A l’heure du déjeuner, pour commencer la journée, c’est au Magic Mirrors que nous entrons pour une série de trois concerts dédiés à la jeune scène du jazz.
Et pour commencer, c’est dans une atmosphère feutrée, de jazz de chambre entre musique contemporaine et classique que nous découvrons Suzanne, ce trio guitare-clarinette-alto. La musique est subtile entre mezzo voce et forte, susurrant les silences et jouant avec les imbrications des timbres. La musique est conceptuelle et laisse place à l’imaginaire poétique. Un forme de déstructuration là encore fascinante où les sens restent toujours en éveil. Puis en guise de rappel, un blues des bayous où, pour l’occasion le tromboniste Robinson Khoury venait prêter main forte et jouer les contrepoints à la voix de Pierre Tereygeol.
@Jmgelin
Nefertiti
Deplhine Deau (p), Camille Maussion (ss), Pedro Ferreira (cb), Pierre demange (dms)
( « Framless » - Neuklang )
Nous étions impatients et curieux de découvrir ce tout jeune groupe, lauréat de Jazz Migration qui venait tout juste de sortir un nouvel album ( « Framless" - Neuklang). Le résultat nous a scotché : intelligence de l’écriture, jeu ciselé de la formidable pianiste ( Delphine Deau) qui nous fait penser à celui d’un Cecil Taylor ou d’une Myra Melford, flamboyance du soprano de Camille Maussion véritablement volcanique ! un pur moment d’extase et une superbe découverte. Et comme tous se connaissent, Robinson Khoury (encore) et Pierre Tereygeol venaient sur scène parfaire le tableau pour un morceau en commun.
Pas la peine de quitter la scène pour Robinson qui enchaînait dans la foulée avec le 3eme concert…..
Robinson Khoury
Robinson Khoury (tb), Pierre Tereygeol (g), Mark Priore (p), Etienne Renard (cb), Elie Martin-Charrière (dms)
Salué par la critique pour la parution récente de son deuxième album ( « Broken lines » - Gaya), le tromboniste, chaud comme les braises venait donc clôturer cette session avec son groupe. Musique inventive, timbres, growl puissant et subtil à la fois et moments d’explosions rock : une vraie cohésion de groupe. La musique, qui revendique de s’inspirer du cubisme ( mouvement pictural du début du XXèmle siècle) semble ouvrir des portes par l’imbrication des thèmes, des timbres et des genres. De celui à casser les lignes droites pour en faire un ouvrage aussi cohérent que complexe sur fond de groove toujours présent.
@Jmgelin
Avant de passer à d’autres réjouissances, juste le temps pour nous de faire une pause au bar à huitres (superlatives !) sur la place centrale et de rejoindre le plus baroque des spectacles, celui de la battle
Battle Méderic Collignon vs Pierrick Pedron
@Jmgelin
Equipe de Méderic Collignon
Mederic Collignon (cnt), bernard Lubat (calviers), Liuonel Suarez (acc), Sylvain Luc (g), Léna Aubert (cb)
Equipe de Pierrick Pedron
Pierrick Pedron (as), Carl-henri Morrisset (p), Thomas Bramerie (cb), Christelle Raquillet (fl), Elie Martin- Charrière (dms)
animé par Nathalie Piolé et Alex Dutilh ( France Musique)
La première battle ( déjà animée par Alex Dutilh) remontait à 10 ans (2012). On avait donc hâte de retrouver ce moment totalement foutraque où le jazz prend son air drôle et clownesque. Pas question d’envisager ici un concert ( au sens traditionnel), ni une joute musicale mais plutôt une grande déconnade sous la houlette de Nathalie Piolé et d’Alex Dutilh en maître de cérémonie drôles, complices et facétieux et d’un public assumant totalement sa partialité pro-bigoudins.
Le principe de la battle : un thème choisi au hasard et inconnu des deux groupes + une contrainte.Et dans le genre contrainte, on peut dire que nos deux animateurs se sont lâchés : jouer à genoux, jouer d’une seule main, chanter son instrument sur le thème choisi, jouer avec des gants Mappa etc….!
Et le tout avec un « Médo » (Mederic Collignon) totalement déjanté et trop heureux de faire le spectacle ( ah ce grand moment où Collignon abandonne la trompette pour….un tuyau d’arrosage).
Alex Dutilh avait l’immense courtoisie de terminer la séance à temps pour que les amateurs de rugby puissent assister à la victoire de La Rochelle ( merci Alex !) et ensuite de filer au dernier concert qui venait quasiment clôturer le festival.
Avishai Cohen
Avishai Cohen (cb), Echin Shirinov (p), Roni Kaspi (dms)
Et quelle clôture ! Alors qu’on avait un peu perdu le contrebassiste israélien lorsqu’il se mettait à chanter, le voilà revenu avec un formidable power trio à l’occasion de la sortie de son nouvel album ( « Shiffting sands » - Naïve). Et le moins que l’on puisse dire c’est que ce power trio est….puissant ! Grand, grand concert d’un trio qui fonctionne à merveille, impliqué dans tous les registres du jeu et élevant celui-ci à de très hauts niveaux. Pourtant chaque membre du trio a une personnalité affirmée. Le contrebassiste tout d’abord ( l’un des plus grand actuellement), vivant son instrument avec passion, comme s’il s’agissait d’une femme entre ses bras. A la fois tendre et direct mais faisant chanter aussi sa contrebasse en contrepoint avec le désir de porter l’instrument au rôle de soliste à part entière. Et son jeu d’archet est, de la même façon aussi incisif que mélodique. Totalement engagé. Echin Shirinov : ce sont les phrases mélodiques qui coulent naturellement sous ses doigts, tout en maîtrise, maniant les silences et les stop chorus pour mieux faire résonner les douces harmonies de son jeu. Et puis il y a la découverte de cette jeune batteuse israélienne d’à peine 21 ans, débordante d’inventivité et de relances rythmiques et qui lors de son solo fit basculer la salle marcel Helie dans une 3ème dimension. Le public ovationne et Avishai Cohen en guise de rappel décide de se faire plaisir pour chanter, seul et à l’archet une version tripale du standard « sometimes i feel like a motherless child ».
Eh bien non, Avishai, tu n’es pas seul, tout le public de Coutances est derrière toi, debout et chaviré.
(NB : ce concert sera à la réécoute sur le Jazz Club d’Yvan Amar sur France Musique.)
Voilà, ce festival est terminé. Pour sa 41ème édition, Denis Le Bas (qui fêtait à l’occasion sa 60ème) a fait le plein : 42 concerts payants sur les 61 programmés ont joué à guichets fermés. La fréquentation de cette édition 2022 a été très proche de 2019 avec plus de 90% de taux de remplissage des salles.
Grâce à Denis Le Bas, Gégé Collet, Severine Hedouin et tous les bénévoles du festival, on s’est senti revivre.
Grâce à eux, la vie d’avant c’est….. maintenant !
Jean-marc Gelin