CLEMENT JANINET O.U.R.S
ORNETTE COLEMAN UNDER THE REPETITIVE SKIES III
A paraître le 08/09/2022
LABEL BMC/ L’Autre Distribution
On avait aimé Clément Janinet dans le spirituel trio chambriste de la Litanie des Cimes quand il prenait de la hauteur sur la canopée. O.U.R.S est une autre formation du violoniste qui continue sur sa lancée avec ce troisième album après le premier en 2018 sur le label Gigantonium, Danse en 2020, cette fois sur le label hongrois BMC en explicitant l’acronyme soit Ornette Under Repetitive Skies III.
Le quartet installe une singulière poétique musicale poursuivant son exploration avec une écriture plus dense, contenue, subtile aussi. Avec leur solide background respectif, ces musiciens, venant des courants les plus intéressants de ces dernières années, que ce soit Radiation X, Coax, ou l’O.N.J d’Olivier Benoît, avancent de front sur un chemin balisé en se permettant écarts et pas de côté, en référence au doux saxophoniste texan qui bouscula les règles en son temps.
Le style ne doit pas tout à Clément Janinet, compositeur de cinq des six titres qui prennent leur temps pour se développer. La qualité évidente de la musique vient du travail collectif, de cet ajustement spontané et complice exaltant les textures, timbres des instruments, les couleurs des percussions que chacun pratique à son tour, sans oublier certains soli instrumentaux du soufflant Hugues Mayot.
Amoureux des cordes, Clément Janinet délaisse parfois son violon, ne prenant pas le rôle d’un soliste en renfort du sax, aimant au contraire s’amuser d’alliages nouveaux, quand il redécouvre la mandoline, plus que rare en jazz et en use avec bonheur.Pour rester dans le paradoxe, c’est peut être lui que l’on entendrait le moins au violon, même si le premier titre, le plus long, près de 13 minutes, “3rd meditation” annonce le concept : il s’agit vraiment de musique répétitive, grands traits d’archet, jets continus sans juxtapositions bizarres, juste des nuances introduisant les micro-variations, changements infimes de cellules redondantes, de fragments qui se répètent presqu’à l’infini. C’est Hugues Mayot qui interrompt la cadence après plus de 7 minutes, survolant en une ligne qui bifurque à la dixième minute en un unisson épatant. Une tension et une puissance dramatique certaines caractérisent ce début d’album. Le saxophoniste a une virtuosité rétro faisant résonner des échos coltraniens.
Mais l’album se révèle un modèle d’équilibre et de cohérence dans son montage alternant pourtant climats et tempi, comme le “Quiet Night” qui suit, tout doux, mélodique, charmeur avec une ligne de mandoline délicate. La finesse des timbres, le jeu qui passe rarement en force avec l’entrée du saxophone, la contrebasse discrète qui assure en accord avec la batterie donne à cette berceuse un air de veillée western.
"Haze" joue en écho (hendrixien) avec “Purple blues”, titre suivant, blues sombre et pourtant lumineux, un clair-obscur où le temps s’étire. Haze se répand en une brume légère, vaporeuse et planante sur la première partie de la compositon. Surgit au mitan une rupture brutale, un dérèglement contrôlé d' Hugues Mayot et Emmanuel Scarpa induisant une transe convulsive. Cette échappée free passe bien mais ce sont les moments calmes qui nous emportent, les musiciens conduisent la narration en agents climatiques, soufflant le chaud et le froid à l’envie.
La contrebasse de Joachim Florent s’exalte doucement, les esprits s’apaisent sur un “Ouagadougou” d’une mélancolie exquise. Le dernier titre enfin "Obidi" avec la voix de ZE Jam Afane nous entraîne sur des rythmes de l’Afrique de l’ouest, à contre courant de certains clichés, dans un “jazz de griot”, expression des plus exactes de l’auteur des liner-notes, par ailleurs remarquables, Guillaume Malvoisin.
Dans cette parade mystique, intrigante au final, dans cette assimilation décomplexée de courants divers, les musiciens cherchent-ils “the ancient melodies of the future”? On ne sait jamais où l’on s’ aventure avec ces quatre compères qui contrôlent leurs interactions, surprenantes parfois, évocatrices en tous les cas. Cet O.U.R.S mérite assurément d’être suivi de près.
Sophie Chambon