Rituel de novembre pour le chroniqueur depuis la fin des années 80 : quelques jours à Nevers pour un festival dont le programme est toujours alléchant, très souvent jouissif. Et les Bords de Loire toujours aussi étonnants
Tout avait commencé dès le samedi 5 novembre, avec le duo Céline Boncina – Laurent Dehors, le quintette de Vincent Courtois et la groupe Aziza (Dave Holland and C°). Mais ce jour-là j’étais encore à Paris pour écouter Flash Pig puis Joe Lovano.
©Maxim François
Le dimanche 6 novembre, j’étais dans la petite salle de la Maison (de la Culture) pour la création de M. Golouja, théâtre musical qui associe le comédien Olivier Brida et le trio La Litanie des Cimes dans une adaptation d’une nouvelle de Branimir Šćepanović, entre fantastique et absurde. Dans un dispositif scénique simple, une formidable incarnation du comédien, en dialogue scénique et dramatique avec le trio (Clément Janinet, Élodie Pasquier, Bruno Ducret).
Le lundi 7 novembre, à 10h du matin, le chroniqueur se rend au Café Charbon pour une représentation du duo Céline Bonacina – Laurent Dehors devant un public scolaire de collégiens et lycéens. Musique très inventive et vivante, et le public, d’abord timde ne réactions, a montré dans l’échange final avec les artistes que son écoute avait été féconde
©Maxim François
Le lendemain, dès midi quinze, au Théâtre Municipal, c’est le concert du quartette Autonomus du saxophoniste finlandais Mikko Innanen : autour de partitions graphiques que chaque musicien fait pivoter de séquence en séquence d’un même morceau, un régal de liberté et d’esprit ludique, en toute rigueur. Le contrebassiste bourguignon Étienne Renard remplaçait au pied levé, et avec brio, le titulaire retenu en Finlande par le covid. À 18h30 à la Maison de la Culture, nouvelle représentation de M. Golouja, puis en soirée, au Théâtre, le groupe Try ! D’Airelle Besson
Belles mélodies de la trompettiste, servies avec liberté et panache par Benjamin Moussay, Fabrice Moreau et Lynn Cassiers : la vocaliste des Flandres belges est en effet la remplaçante régulière quand Isabel Sörling est retenue dans d’autres groupes, et le quartette fait merveille dans le répertoire du disque éponyme, renouvelant chaque fois le matériau musical originel.
©Maxim François
Le lendemain 8 novembre, la journée du festivalier commence à 12h15 avec Designers, le trio du contrebassiste belge Joachim Florent, entouré d’Aki Rissanen au piano et Will Guthrie à la batterie. Musique très vive, qui s’aventure souvent dans une effervescence frénétique (mais subtile) où le groove n’étouffe pas la musicalité.
À 18h30 au Café Charbon, scène historique de ‘musiques actuelles’ dotée ces dernières années d’une salle rénovée, c’est Nout, trio hétérodoxe qui associe la flûte (amplifiée, avec de copieux effets), de Delphine Joussein, la harpe électrique de Raphaëlle Rinaudo, et la batterie de Blanche Lafuente.
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La flûtiste dynamite le son de son instrument par le traitement électronique, des effets de souffle et de chant dans l’embouchure. Ça décoiffe, mais tout n’est pas joué dans l’exacerbation du son et les transgressions de codes. La musicalité demeure, tapie sous l’effervescence, et elle respire. Un confrère et ami m’avait prescrit des protections auditives : l’ouïe supposée fragile du septuagénaire que je suis a supporté le niveau sonore sans conserver les bouchons au fil du concert….
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Le soir au Théâtre, à 21h, c’est Louis Sclavis et ses Cadences du Monde. Belle équipe, avec la violoniste Anna Luis (que Sclavis avait côtoyée pour le disque «Inspiration baroque»), le violoncelliste Bruno Ducret, son partenaire régulier en duo, et le percussionniste Prabhu Edouard, qui remplace régulièrement dans ce groupe Keyvan Chémirani, souvent retenu par d’autre engagements. Très belle cohésion sur une musique conçue sur mesure pour le groupe, avec des espaces d’expression individuelle. Le percussionniste nous a épaté par sa pertinence musicale et son inventivité.
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Le 9 novembre, dernier jour à Nevers pour le chroniqueur, la journée commence dans la petite salle de la Maison de la Culture, avec Parking, le trio d’Élise Dabrowski, qui dans ce groupe délaisse la contrebasse pour la seule voix. Olivier Lété est à la guitare basse et Fidel Fourneyron au trombone. De l’improvisation, souvent très libre, sur des canevas préétablis. Une musique de l’extrême parfois, avec la voix qui sort des cadres, la basse qui produit des sons insoupçonnés avec des modes de jeu totalement hétérodoxes, comme le trombone qui soudain dé-coulisse pour d’autres sonorités.
L’après-midi au Café Charbon, c’est un autre trio, Sweet Dog, qui rassemble le saxophoniste ténor Julien Soro (également au synthétiseur), le guitariste Paul Jarret et le batteur Ariel Tessier. D’abord sur un accord unique, altéré et arpégé, de la guitare, ce sera une improvisation total modal du sax, puis sur un cadre de plusieurs accords, une autre escapade du ténor, attisée par la batterie et relancée par la guitare. Pour conclure le saxophoniste passera d’abord au synthé, partant sur l’extra-tonal pour atterrir dans le convenu, avant de poursuive au sax dans un moindre enjeu. L’intérêt s’érodait, et le chroniquer commençait à s’ennuyer….
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Retour au Théâtre à 18h30 pour le sextette de l’accordéoniste Christophe Girard. Il a passé sa jeunesse à Nevers, fréquenté naguère le festival en spectateur, et il a joué dans cette salle quand il était adolescent : son émotion est palpable, il en fait d’ailleurs l’aveu. La musique est riche et dense, bien composée et orchestrée, avec une forme d’ensemble élaborée, en plusieurs mouvements, et de l’espace de liberté pour les interprètes qui sont aussi des solistes improvisateurs, et de haut vol : Claude Tchamitchian, François Merville, la violoniste (et vocaliste déjantée) Amaryllis Billet, la clarinettiste Élodie Pasquier, et Anthony Caillet à l’euphonium. Grand moment de musique, assurément !
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Le soir, dans la grande salle de la Maison de la Culture, deux programmes qui conjuguent les disciplines artistiques. D’abord la littérature et la musique, avec Les Clameurs des lucioles, lecture musicale sur un texte de Joël Bastard (autour des photographies de CharlÉlie Couture), dont des fragments sont interprétés par Sandrine Bonnaire sur les musiques d’Éric Truffaz, à la trompette, et aussi au piano. Évocations mélancoliques de Montréal, incursion d’un portrait féminin, Sandrine Bonnaire fait vivre la poésie du texte, dans sa nostalgie comme dans son effervescence. Éric Truffaz donne à cette évocation une succession de contrepoints musicaux qui vont magnifier le dire et le dit. Belle réussite que cette aventure littéraro-musicale.
©Maxim François
La seconde partie de soirée est inspirée par une photographie de Guy Le Querrec, un mariage à Auray en Bretagne en 1978. François Corneloup, qui est aussi photographe, et a publié récemment un livre de ses images, avec des textes de Jean Rochard, et un entretien en postface avec Guy Le Querrec, a rassemblé une groupe et composé une partition qui se joue avec en fond de scène la photo inspiratrice. Jean Rochard a écrit autour de cette image un texte qui interroge l’image et l’époque. Le texte est interprété par la comédienne Anne Alvaro, et la musique de François Corneloup fait écrin, écran, contrepoint et exaltation de cet instantané de Le Querrec, expert dans cet instant décisif, le fameux kairos (καιρός) qui faisait le bonheur des philosophes de l’Antiquité grecque avant de conquérir les penseurs des temps modernes. Jacky Molard au violon, Sophia Domancich au piano électrique, et Joachim Florent à la contrebasse étaient avec François Corneloup les interprètes et solistes de cette belle partition qui leur ouvrait l’espace de l’improvisation. Et le saxophoniste-compositeur-improvisateur nous a épatés par son niveau d’inspiration. Très très belle conclusion pour cette soirée.
Xavier Prévost
©Maxim François
Noces translucides sera donné à nouveau le 17 novembre au festival Jazzdor de Strasbourg, et 24 novembre à Paris, à l’Atelier du Plateau