KIDS’TIME DMITRY BAEVSKY
Fresh Sound New Talent
Sortie 2 décembre 2022
DMITRY BAEVSKY "KIDS' TIME'" [album teaser] - YouTube
Ce qui frappe l’auditeur dès le démarrage du nouvel album du saxophoniste alto Dmitry Baevsky avec l’inaugural “Mr H”, est la vitesse conjointe à l’agilité dans les up tempo, pour ce répertoire de neuf originaux et deux standards dont la ballade “Deep in a Dream” de Jimmy Van Heusen sans oublier le “Soy Califa” de Dexter Gordon, littéralement "Je suis de Californie" et non "Je suis le Calife de Valby", Danemark où vivait alors Dexter Gordon, le héros du film de Bertrand Tavernier Round Midnight.
Les albums de l'altiste d'origine russe sont une plongée musicale mémorielle, usant d'un langage be bop avec des influences multiples de Gigi Gryce à Jackie McLean sans oublier des ténors comme Sonny Rollins et Dexter Gordon. Références communes à beaucoup d’altistes ceci dit, comme Géraldine Laurent et Pierrick Pedron qui tiennent en France le haut du pavé dans leur catégorie. Geraldine n’a t-elle pas sorti un album Around Gigi en 2010? Alors que Deep in a Dream reste le titre d’un somptueux album de Pedron de 2006. Je n’irai pas plus loin dans l’éternel (et un peu crispant pour les musiciens) petit jeu des ressemblances.
Il faut juste compter avec Dmitry Baevsky dont ce Kid's Time est déjà le dixième album! Un“Time flies” ébouriffant et haletant, composition au titre on ne peut plus juste, le temps passe trop vite mais le saxophoniste a commencé très jeune. Son album précédent nous avait révélé son histoire émouvante et sur le chemin des confidences se détachait un auto-portrait en creux.
De ce nouvel album, on saura juste d’après la photo de couverture et quelques lignes d’introduction qu’il a beaucoup écrit en s’inspirant de son fils, âgé de six ans, en le regardant vivre et jouer. Il établit d’ailleurs un parallèle fort intéressant entre le dispositif des enfants quand ils se livrent à leur activité favorite exerçant leur imaginaire et l’imagination dont font preuve les musiciens quand ils jouent. Dmitry Baevsky est ancré dans le présent, l’instant, l’improvisation et l’interplay, avec un lyrisme qui s’appuie sur une grande technique, sans qu’il cherche à mettre la pression, à envoyer trop de puissance. Vif, élégant et articulé, son phrasé surprend, véloce plus que volubile ("Rollin’"), précis et sans emphase, adapté à la dynamique du trio, délivrant une émotion juste. Il cherche en tournant et retournant les phrases, et les idées jaillissent sous ses doigts : il se jette dans la bataille, audacieux dans sa prise de risque. Il faut reconnaître qu’il est merveilleusement accompagné, sans piano mais en totale complicité avec Clovis Nicolas, le contrebassiste français qui s’est installé à New York et le batteur du Bronx Jason Brown, un trio américain rompu à la pratique des clubs. Cette rythmique affûtée est capable non seulement de suivre le saxophoniste et de le soutenir dans ses échappées mais d’ explorer en vrais compagnons de jeu toutes les compositions. On ne cherchera pas à isoler des passages ou des échappées, ils sont réactifs en permanence ("MTA"), ou sur le calypso de Dexter que l’on entend rarement si ce n'est dans la variation "Una noche con Francis" dans le film de Tavernier.
Une virtuosité originale couplée à une musicalité expressive : moelleux et sinueux, swingant sur cet orientalisant et dansant “Imitagant” qui restera longtemps en tête. Après le phrasé envoûtant et hypnotique, on revient à l’heure du jeu avec ce “Kid’s time” où le trio s’adjoint les services d’un Frenchy, le trompettiste et bugliste Stéphane Belmondo qui prendra la main sur “Deep in a Dream”. On attendait quand même au tournant le saxophoniste sur les tempi lents et très doux. Suave est un qualificatif rebattu pour les ballades, mais point de mièvrerie dans cette voluptueuse attaque à l’unisson, ce duo amoureux et sensuel où les timbres se fondent et s’enlacent.“The End” ne conclut pas tout à fait l’album puisqu’il y aura un bonus, un standard “Don’t blame” des années trente, repris par tous les grands d'Ethel Waters à Hank Jones. Emouvante version avec quelques aigus rares. C’est bien fini cette fois, et on reste interdit devant l’aisance à marier style et tempérament, sensibilité et sérénité, vitalité et limpidité. Du grand jazz comme on l’aime, à écouter sans modération.
Sophie Chambon