PEDRON RUBALCABA
LABEL GAZEBO/L’Autre Distribution
Pierrick PEDRON Official Website
Vous ne devriez pas rester indifférents au nouvel album de l’altiste Pierrick Pedron en duo avec le pianiste Gonzalo Rubalcaba intitulé sobrement Pedron Rubacalba. Une alliance artistique inattendue mais espérée, voire fantasmée par le saxophoniste qui n’hésite jamais à traverser l’océan pour retrouver ses idoles jazz.
Aucune composition originale cette fois, mais des standards recherchés avec soin dans l’histoire du jazz par le directeur artistique Daniel Yvinec et arrangés par le grand pianiste bop Laurent Courthaliac, l’une des plumes les plus raffinées actuelles. Autrement dit, une histoire où quatre partenaires forment une belle équipe. Huit pièces denses et inventives avec leurs modulations brusques, leurs variations de temps et la même ferveur. Il suffit d’écouter et de voir la vidéo de "Lawns" par exemple pour être subjugué, sous le charme irrésistible de ce thème de Carla Bley, étiré mélancoliquement par les deux musiciens qui s’accordent parfaitement.
Enregistré live en seulement deux jours, en juin 2022, au studio Oktaven de New York , ce CD est un album qui réussit le délicat équilibre du duo, sorti sur Gazebo, le label de Laurent de Wilde qui ne peut résister une fois encore à “un vrai disque de jazz”. Travailleur acharné et perfectionniste, Pierrick Pedron n’allait pas s’arrêter après son album de la maturité 50/50. Il se donne toujours toutes les chances pour réussir ses projets aussi divers qu’ambitieux. Réfléchissant à leur faisabilité, il a dû se résoudre cette fois à abandonner (pour le moment), un projet pharaonique qui aurait fait appel à un orchestre symphonique pour un nouveau défi, un duo piano-saxophone qui se révèle aussi opulent qu’une très grande formation.
L’aventure a commencé en studio, face à face, jouant sans casque mais non sans avoir préparé le terrain. Tous les arrangements étaient prêts, avaient été proposés au pianiste, ses suggestions avaient été intégrées. Quelque chose d’unique s’entend à l’énoncé de ces huit compositions réinventées de Jerome Kern (le délicat “The song is you”), Bechet (l'émouvant "Si tu vois ma mère"), Carla Bley (Lawns) sans oublier le moderniste Georges Russell le vif “Ezz-thetic” : un son unique émerge qui ne trompe pas, car la formation en duo ne permet aucune esquive : on joue comme on est en répondant aux sollicitations de l’autre, dans un échange qui, s’il est réussi comme ici, est quasiment télépathique. En toute intimité et vérité. A nu.
Ils ont tous deux la même énergie créatrice, le talent de donner de l’ampleur à ces confidences, de faire jaillir des couleurs insoupçonnées, des climats plus insolites comme dans le standard de Bechet dont Woody Allen, dès le générique de son Midnight in Paris, se régalait d’illustrer le vibrato si spécifique par ces images-cartes postales. La plainte devient flânerie chaloupée puis chant exacerbé d’un saxophone à vif.
Le duo est en réinvention incessante, dans une mise en place parfaitement maîtrisée qui n’interdit aucune réaction instinctive aux suggestions du partenaire. Une liberté autorisée sous le contrôle de l’autre. Il faut bien connaître les règles et les arrangements pour les tordre à sa guise et à la convenance de l’autre, dans l’instant. Cet élégant dépouillement acoustique en duo fait ressortir l’entente parfaite, l’interaction immédiate.
Expressif et charmeur, le son de Pierrick Pedron l’est toujours, cette fois, il a travaillé des anches plus dures qui rendent le son plus moelleux et rond. L’accompagnement pianistique est tout aussi inventif, décalé, en brefs épanchements qui font mouche à chaque fois, comme dans ce “Dreamsville”d’Henri Mancini. Sur l'éruptif “Ezz-thetic” le piano devient orchestral. Dans cette autre très belle mélodie de Jérôme Kern “The folks who live on the hill”, le piano se révèle impressionniste sur une pièce atmosphérique triste.
Cet album épatant marque la rencontre réussie de deux solistes généreux, puissants, soucieux de mélodie et de rythme qui nous entraînent dans une musique désirante. Ils ont visiblement pris du plaisir à interpréter ces pièces qui parlent d’attirance et d’abandon, comme dans le final de Billy Strayhorn “Pretty girl”, dédié à celui qui connaissait si bien cette musique, Claude Carrière. Un sans faute.
Sophie Chambon