Disparu le 16 avril à l’âge de 92 ans, le pianiste Ahmad Jamal né à Pittsburgh le 2 juillet 1930, avait effectué ses débuts professionnels à 11 ans . Son premier et immense succès remonte à 1958 quand « But not for me », enregistré avec son trio ( Vernell Fournier, batterie et Israel Crosby, basse) dépassa le million d’exemplaires et se maintint 108 semaines parmi les dix meilleures ventes aux USA.
Nourri aux grands classiques du piano, Ahmad Jamal s’était construit un style personnel, très architecturé, évoquant alternativement le ruissellement de la pluie sur les toits et les coups de tonnerre. Il avait définitivement conquis le public dans les années 90 grâce à la confiance de deux producteurs (aujourd’hui disparus), Jean-François Deiber et Francis Dreyfus et se produisit sur les scènes de l’hexagone les plus prestigieuses (salle Pleyel, Olympia…) et dans les plus grands festivals (Marciac, Nice, Vienne) jusqu’à ces dernières années. Il donna ainsi un concert le 3 juillet 2019 le lendemain de ses 89 ans à l’auditorium de la Fondation Louis Vuitton à Paris où il ravit les spectateurs avec une version d’une grande fraîcheur de son morceau-fétiche « Poinciana ».
En 2011, à la veille de célébrer ses 81 ans le 2 juillet par un concert à l’Olympia, Ahmad Jamal nous avait confié son amour de la France, de Ravel à Michel Legrand et TSF.
- Cet été, vous allez donner une quinzaine de concerts en Europe. Après soixante ans sur scène, vous n’avez pas envie de ralentir le rythme ?
-(Rires). Quand je suis en tournée, je me considère comme en vacances. Les voyages constituent une grosse fatigue mais nous sommes payés pour voyager et jouer est toujours un plaisir. A la maison, dans la campagne près de New-York, je travaille. Je m’exerce au piano tous les jours sur mes deux Steinways. En ce moment, je prépare un album en solo.
Vous composez sur ordinateur comme beaucoup de musiciens aujourd’hui ?
Je préfère la manière traditionnelle, celle de Mozart, Beethoven ou Duke Ellington, écrire avec une feuille de papier. Mais j’utilise aussi un enregistreur, notamment quand je compose en tournée sur un piano électrique, pour me souvenir- j’ai 27 ans et peux avoir des problèmes de mémoire (rires)- mais je retranscris ensuite à la main sur du papier à musique.
Vous n’aimez pas être qualifié de jazzman …
Je ne suis pas paranoïaque. Je ne me sens pas insulté par l’appellation jazzman. Mais je me considère comme un musicien classique américain, au même titre que Duke Ellington, Billy Strayhorn, John Coltrane ou George Gershwin.
Ecoutez-vous beaucoup de musique ?
Quand je travaille à la maison, j’écoute en permanence une quarantaine de stations musicales, américaines, brésiliennes, africaines, françaises comme TSF. Et de tous les genres. Vous connaissez la formule : il n’y a que deux sortes de musique, la bonne et la mauvaise.
Miles Davis vous citait en exemple et pourtant vous n’avez jamais joué ensemble…
Mais c’était impossible ! Je suis un leader, dirigeant un groupe depuis l’âge de 21 ans, et Miles était un leader. Alors, vous comprenez…
Avec la France, c’est déjà une vieille histoire ?
J’ai des relations particulières avec votre pays depuis 1971, où j’ai donné mon premier concert à Ia Maison de la Radio, pour l’ORTF. Et ces dernières années, je viens souvent et enregistre aussi dans des studios français. Enfin, j’aime beaucoup Maurice Ravel et aussi des arrangeurs comme Michel Legrand et Claude Bolling.
Jean-Louis Lemarchand