Djazz Nevers : un final contrasté très féminin
Astral, Leïla Olivesi et son octet
Grande salle de la Maison, 20h 30
Astral est le sixième album de la pianiste Leïla Olivesi sorti en novembre 2022 ( Attention Fragile/ L'Autre Distribution), Prix Django Reinhardt de l'Académie du jazz en 2022. La pianiste chef d’orchestre, musicologue, pédagogue fut nommée l’artiste féminine de l’année par cette même institution, la sixième femme repérée en soixante dix ans! Ce soir pour un final très suivi du D'Jazz Nevers Festival, elle présente une suite brillante qui nous propulse dans le cosmos dans la grande salle de la Maison de la Culture de Nevers (près de 800 places).
Comme Duke Ellington, l’un de ses modèles, elle a plusieurs cordes à son arc, exerçant diverses fonctions parmi les plus importantes du jazz : pianiste, compositrice, cheffe d’orchestre et de cette petite entreprise que constitue chaque projet. Elle applique d’ailleurs dans ses créations le plan de sa thèse (consacrée au maître) qui étudie cette triple fonction dans ses aspects les plus complets, en s’employant à “diriger à partir du piano” qu’elle considère comme un laboratoire de création. La musique évolue sur la scène à chaque concert, une performance qui se vit avec le public. Quand elle a écrit les partitions, elle savait précisément qui allait jouer, ayant réservé à chacun de ses “all stars”, merveilleux solistes de la scène jazz actuelle, des rôles adaptés à leur timbre respectif et à leur caractère singulier. Sans se dispenser des surprises des improvisations où elle laisse filer, ravie, attendant en observatrice éclairée, prête à des ajustements si nécessaire. Sa “dream team” est composée ce soir de Baptiste Herbin (alto sax, flute) Adrien Sanchez (ténor sax) Jean Charles Richard (sax baryton et soprano) Quentin Ghomari (trompette) Yoni Zelnik (contrebasse)Donald Kontomanou (batterie) Manu Codja (guitare). En invitée, la chanteuse Chloé Cailleton intervient sur les dernières compositions, des poèmes de la féministe Lucie Taïeb (“Soustraire à la Lumière” et si je me souviens bien “Au Fil des Rêves”).
Le concert s’ouvre avec la composition qui a donné son nom à l’album avec un solo tout en douceur d’Adrien Sanchez au ténor auquel se joint la guitare reconnaissable de Manu Codjia. Puis bousculant l’ordre de la set list -c’est l’un des moments les plus forts, l’hommage au grand homme de radio, producteur, créateur du Jazz Club, expert s'il en est de Duke Ellington, mon "papa de jazz" qui me fit entrer de plain-pied dans l’univers ellingtonien en 1977 dans ce formidable feuilleton radiophonique sur France Musique, la série de "Tout Duke".
La Missing CC Suite tendre et émouvante est en deux parties “Missing CC” et “Portrait" commencées deux jours seulement après la disparition de son ami et guide. Elle attaque au piano dans le plus bel exemple de fidélité à l’esprit de Duke Ellington, un hommage que n’aurait pas renié Claude Carrière. Et c’est Baptiste Herbin qui s’improvise en place du moelleux Johnny Hodges qu’il bouscule ensuite dans un jeu convulsif aux accélérations effrénées. Ce qui aurait intéressé l’alto d’Ellington qui savait aussi jouer velu dans certaines circonstances. Quentin Ghomari à la trompette sait aussi intervenir dans cette frénésie. Dans le Portrait de CC, Jean Charles Richard au baryton où il excelle se substitue à Harry Carney en plus tendu. Les solistes ne sont ils pas les nouveaux acteurs d'une Cosmic suite façon Olivesi, écho réussi de The Cosmic Scene with his Space men, un octet du Duke en 1958 ?
Leïla Olivesi s’attaque aussi à une autre grande figure de la musique jazz américaine, la pianiste Mary Lou Williams, l’une de ces instrumentistes pionnières à avoir ouvert la voie pour les musiciennes d’aujourd’hui. Leïla a composé un portrait sensible de cette femme exceptionnelle qui a traversé l’histoire du jazz, évoluant avec cette musique sur près de cinq décennies. Comme Pierre Antoine Badaroux qui vient de reconstituer la Zodiac Suite de Mary Lou avec son Umlaut Chamber Orchestra, Leïla Olivesi est allée travailler sur les archives léguées à l’Institute of Jazz Studies de Newark (New Jersey). Elle propose ce soir le mouvement dédié au "Scorpio", qu’elle aménage à sa façon avec la flûte d’Herbin et le baryton de JC Richard en liberté. Un bon choix ( thème repris aussi par la regrettée Geri Allen, autre figure d' admiration de Leïla Olivesi) qui modifie la version initiale au Town Hall en 1945 resserrée en un trio dépouillé de toute orchestration. D’autres compositions suivent comme cette “Constellatio Draconis” très cuivrée où les musiciens suivent les signes et autres indications pour intervenir. On continue ainsi le parcours entre étoiles et lumineuses constellations dans un alignement cohérent et raffiné.
Ana Carla Maza, Caribe.
Final latino-américain
La soirée continue avec un spectacle vraiment “caliente”, un show à l’américaine d’un orchestre latino qui suit une meneuse de revue survoltée, violoncelliste, chanteuse, danseuse. C’est la jeune Ana Carla Maza (au français parfait), fille de musiciens qui débuta très jeune sur scène et fait le bonheur du public dans son “Caribe” enflammé et provocant…
C’était le final de cette édition réussie et contrastée qui continue à proposer l’aventure de tous les jazz(s) et musiques affines.
Sophie Chambon