CORNELIA NILSSON
WHERE DO YOU GO?
AARON PARKS/ DANIEL FRANCK/ GABOR BOLLA
Stunt records
Cornelia Nilsson ou the Girl from the North Country Side. Rien à voir avec Dylan mais il n’est pas anodin que cette jazzwoman née à Lund en 1992 soit suédoise. Après avoir fait ses classes sur la scène suédoise et chance suprême accompagné Kenny Barron ou Ron Carter, elle a jugé bon de se lancer avec un premier album en leadeuse où elle s’inscrit dans la tradition bien comprise et respectée des Scandinaves. Un vrai disque de jazz comme on les aime. Rien à voir donc avec les orientations d’une Anne Paceo en France, même si toutes deux manifestent un réel talent et une énergie à toute épreuve. C’est qu’il en faut pour décider de se lancer, faisant entendre ses propres compositions ( “The Wanderer”) qui ne déparent pas avec des reprises fameuses de Monk (“Ugly beauty”) de Bud Powell (“John’s Abbey”) ou l’éternel “East of the Sun and West of the Moon” de Brooks Bowman. Pour se frotter aux géants, il faut de l’assurance et une confiance certaine en son équipage : à vrai dire Cornelia Nilsson a fait appel à deux attelages dissemblables qui confèrent à son Where do you go? (titre éponyme du standard d' Alec Wilder et Arnold Sundgaard qu’interpréta aussi Sinatra) tout son sens!
Un seul album qui, en un montage raffiné de deux styles de jazz témoigne de l’adaptabilité, de la plasticité de jeu de la jeune batteuse. En compagnie du contrebassiste danois Daniel Franck, elle forme une rythmique aux petits oignons pour servir le pianiste américain Aaron Parks et le saxophoniste ténor hongrois Gabor Bolla.
Enregistré en deux sessions différentes, d’abord avec un trio qu’elle pratique volontiers- tous trois vivent dans la capitale danoise, pour quatre compositions, puis en réussissant à donner une autre vision spatialisée de sa musique en choisissant l’Américain sur six titres. Il en résulte des contrastes saisissants et plaisants : du jazz toujours, avec un pianiste de l’épure, subtilement sentimental sur les ballades, poignant sur un double hommage en somme ( sa composition “For Father” qu’elle couple avec un saisissant “Dirge for Europe” emprunté au grand pianiste compositeur (de musiques de films) polonais Krystof Komeda disparu trop tôt) et un saxophoniste plus torturé, plutôt free qui arrache tout au passage sur “The Sphinx” d’Ornette Coleman ou d’une ardeur inquiétante sur “Saturn’s Return”. Profondément ancrée dans la tradition- elle ne dédaigne pas le tempo bop rebondissant (sur le standard de Monk) qu’elle contribue à installer aux baguettes comme aux balais, jouant des toms plus encore que des cymbales. Elle n’en est pas moins actuelle et charnelle, sachant montrer sa fougue en accompagnement comme lors de quelques échappées fort réussies. Une musicienne à suivre absolument.
Sophie Chambon