JACQUES PONZIO MONK SUR SEINE
Editions LENKA LENTE
Monk Sur Seine de Jacques Ponzio / Editions Lenka lente
Monk encore…. Monk toujours par le spécialiste mondial de l’artiste à savoir Jacques Ponzio qui persiste et signe un nouvel ouvrage sur Monk, le troisième aux éditions nantaises Lenka Lente après son Abécédaire The ABC-Thelonius Monk en 2017, réédité en 2023 et Monk again en 2019. Chez le psychanalyste, pianiste et leader de l’African Express trio, Monk est une obsession. Découvert dans les années 60, il suit le pianiste dans une quête quasi existentielle et un travail d'écriture qui commença avec Blue Monk co-écrit avec François Postif, publié chez Actes Sud en 1995. On peut avoir l’impression entre Blue Monk et le superbe Monk de Laurent de Wilde en 1996 que tout a déjà été dit, écrit. Ponzio lui n’est jamais allé voir ailleurs. Tant il est vrai qu’il n’en finit pas de creuser le même sillon, de tourner dans sa tête certaines interrogations sur le mystère de ce génie musical. En fin limier, il trouve de nouvelles pistes qui justifient ses recherches. Cette fois il s’attaque au premier séjour parisien de Monk, il y a soixante dix ans , en 1954 et s’efface presque devant son sujet, puisqu’il fait appel à des témoins encore vivants comme le galeriste et photographe Marcel Fleiss âgé alors de vingt ans, et s’appuie sur une formidable enquête menée par un autre Sherlock, “addict” à son sujet de recherche, Daniel Richard éminent disquaire à Paris dans les années 70 à l'enseigne de Lido Music où il savait dénicher les introuvables et faire entrer les imports japonais, puis à la Fnac Wagram, producteur chez Verve, Polygram, Gitanes Jazz, Managing Director chez Universal...quelqu’un qui compte dans le jazz.
https://www.jazzinfrance.com/theloniousmonk.html
Le livre nous fait revivre dans les moindres détails l’aventure parisienne du Moine depuis son départ de l’aéroport d’Idlewild qui ne s’appelait pas encore JFK, le dimanche 30 mai jusqu’au jeudi 10 juin quand il reprit l’avion d’Orly Sud, quelque peu dépité par l’accueil du public pour le moins mitigé. Dix jours avec le compte rendu précis (premier article de fond) de ses concerts salle Pleyel lors du 3ème Salon international du jazz dans un décor Nouvelle Orleans où il était invité avec Gerry Mulligan en quartet et le trompettiste Jonah Jones. Une initiative bienvenue qui voulait faire de Paris le centre mondial du jazz, une foire commerciale et artistique qui hélas n’eut pas de suite pour des raisons financières. Monk va passer de concerts en clubs (Ringside, Club St Germain, Tabou...) vivre soirées et boeufs, se faire trimballer en scooter par le jeune René Urtreger ou guider dans la capitale par Jean Marie Ingrand, le contrebassiste commis d’office pour assurer la rythmique des concerts en trio avec le batteur Jean Louis Viale.
On suit à la trace tout son parcours dans une géographie parisienne orientée jazz jusqu’à une conclusion… jamais définitive puisque Ponzio n’abandonne pas encore la partie, pensant avoir encore des choses à nous raconter sur le sujet.
Si Monk fait aujourd’hui l’unanimité, on s’aperçoit qu’il n’en fut pas toujours ainsi. Il est une icône dont la vie est romanesque, énigmatique, de ses silences avec les journalistes ( jusqu’à cette fameuse interview d’Henri Renaud en 1969, lors de son second séjour en France, objet du documentaire controversé "Rewind and Play" d’Alain Gomis) jusqu’à la relation étrange avec sa bienfaitrice, la baronne Nica de Koenigswarter.
Ce n’est pas l’un des moindres intérêts de ce livre que de souligner que Mary Lou Williams est à l’origine de leur rencontre et de dater ce moment au 3 juin 1954. S’il a souvent ravi le public, tant il est spectaculaire à voir et à entendre, bouleversant les codes au sein même du be bop pourtant révolutionnaire dont il est reconnu comme grand prêtre, on comprend lors de ses concerts à Pleyel qu’il divisa les experts souvent sans nuance. Pourtant les disques de cette période vont connaître la reconnaissance Bird and Diz (Prix Jazz Hot 1954 et son premier Thelonius Monk piano solo) alors que pour sa première cérémonie, le 4 juin, l’Académie du Jazz présidée par André Hodeir choisit Milt Jackson Wizzard of Vibes (avec deux titres de Monk, Criss Cross, Eronel). Mais il y eut toujours des voix pour défendre le style extravagant de Monk, des musiciens éblouis comme Gerry Mulligan, des admirateurs de la première heure comme le pianiste Henri Renaud et sa femme Ny qui signe des papiers pertinents dans Jazz Hot, sous N. Rémy ( déjà l’usage de pseudo), des musicologues comme André Hodeir...
Le livre petit mais dense se présente sous forme de courts chapitres agrémentés d’abondantes photos, vraiment exceptionnelles de Marcel Fleiss mais aussi d' Alain Chevrier (grâce à Francis Capeau), quasiment inédites, regroupées pour l’occasion. Les notes renvoient à une bibliographie, une discographie très précises. L'auteur n'oublie pas de représenter les principaux acteurs de cet épisode. Et surtout dans ce montage d’archives d’une grande honnêteté, il n’omet aucun point de vue, induisant une complexité certaine mais approchant la vérité du reportage. Ainsi chacun des livres de Jacques Ponzio ajoute une nouvelle pièce au puzzle Monkien dont tous les mystères ne sont pas encore résolus.
Sophie Chambon