Baptiste HERBIN TRIO
Django!
Ce titre exclamatif annonce un hommage non déguisé à Django qui provient non pas d’un guitariste ce qui serait attendu quoique toujours osé, mais d’un saxophoniste alto qui compte dans la jeune génération Baptiste Herbin. Quand on sait que Daniel Yvinek est à l’origine de ce projet Django! on se doute que le directeur artistique aura eu une action des plus stimulantes sur l’engagement du trio en studio. Il aura soigné la beauté du son des douze compositions choisies et arrangées par le saxophoniste qui n’hésite pas à reprendre au saxophone certains solos originaux de Django.
Le trio (Baptiste Herbin, Sylvain Romano et André Ceccarelli ) à peine formé est déjà majuscule dans une configuration délicate et aventureuse (saxophones, batterie et contrebasse). L’évidente complicité des musiciens, leur plaisir de jouer ensemble prouvent qu’ils n’ont pas fini de se livrer à des échanges aussi énergiques que lyriques. L’album s’écoute d’un trait, de l’émouvante composition de John Lewis qui ouvre l’album jusqu’au final, l’inévitable Nuages où flotte l’esprit du guitariste avant quelques fulgurances bien balancées du saxophoniste.
Si cinq de ses titres sont repris, la partie sans être facile est gagnée tant le trio sait confronter l’expérience et le talent de chacun en se glissant dans l’univers singulier du maître : une paire rythmique superlative, un saxophoniste au son unique, aussi mélodique que sophistiqué quant il étire le temps dans un Troublant Boléro langoureux en diable. Pas beaucoup de temps morts même quand le tempo ralentit dans la ballade Anouman, autre bijou reinhardtien. Baptiste Herbin pensait-il au travail d’ensemble de Django avec (entre autres) le ténor Coleman Hawkins et l’altiste Benny Carter dans les merveilleuses sessions de 1937 sur disque Swing en préparant cet album, en signant ce Djangology Herbinologué où il tire son épingle du jeu en multipliant les effets que permettent son instrument?
Un montage toujours entraînant enchaîne aussi des valses musette qui font partie intégrante de l’univers manouche que connaît bien le saxophoniste, des interludes comme l’époustouflant Montagne Sainte Geneviève ou Valse de Wasso.
Baptiste Herbin ne dédaigne pas cependant se frotter à d’autres standards du jazz aux références très connotées comme cette autre valse, Indifférence de l’accordéoniste Tony Murena. Il se lance dans une improvisation débridée sur Night and Day, sa version du tube de Cole Porter pour le moins différente, fièvreuse mais toujours aussi chantante. Le rebattu Tea for Two de la comédie musicale de Broadway No, No Nanette débute par un cha cha sans équivoque avant de céder à la frénésie d’un trio qui s’emballe. Ça vous redonne des couleurs avec des références tout autres qu’ajoute par instant le saxophoniste, courtes échappées qui pulsent, frisent, s’enroulent autour du motif principal. Avec spontanéité, fluidité, rapidité, Baptiste Herbin joue dans l’esprit du répertoire sans tomber dans le rétro.
La rythmique paraît mener la danse : ainsi le soliste entre le chant puissant de la contrebasse et l’aisance naturelle du drive creuse intimement un sillon qui lui est propre, nourri de multiples influences. Baptiste Herbin sans dispersion continue à édifier patiemment son grand oeuvre. Il nous faudra le suivre assurément.
Sophie Chambon