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14 novembre 2024 4 14 /11 /novembre /2024 17:40
Djazz Nevers 38    13 novembre     PauL Jarret et son ALE

 

 

Paul Jarret Acoustic Large Ensemble

 Mercredi 13 Novembre : Théâtre, 18h30.

 

Précaution liminaire, je n’ai pas suivi la chronologie de cette journée très particulière du mercredi 13 novembre, privilégiant les duos mixtes dans l'article précédent.

Ce concert en grande formation bluffant à tous les niveaux, sonore et visuel, se devait d'être traité à part.

On commence avec cet Ale à 18h30  une soirée excitante qui nous fera faire un grand écart musical, ce sont les générosités d’une programmation bien comprise.

Si l’actualité du guitariste Paul Jarret fut marquée en septembre dernier par la sortie de son.Acoustic Large Ensemble) chroniqué sur notre site par Xavier Prévost 

http://lesdnj.over-blog.com/2024/09/paul-jarret-acoustic-large-ensemble.html

 en concordance avec les concerts à la Villette notamment, n’oublions pas son premier solo sorti en juin dernier. Paul Jarret aime s’adonner à ce genre d’aventures et l’exercice en solitaire était sûrement une rampe de lancement pour son projet grand format. 

Publier trois opus différents en leader (avec son groupe originel PJ5, le Solo 24 et l’Acoustic large ensemble) en six mois relève d'un défi insensé ou tout simplement d'une envie du guitariste franco-suédois, qui se sentait prêt. à l’aise dans son rôle de chef de troupe.

On va d’ailleurs s’en rendre compte en direct au Théâtre, lieu parfait pour découvrir la magie d’un grand ensemble, en suivant Maxime François "notre photographe" à tous les chroniqueurs, qui sait utiliser les ressources d'un lieu, monte dans les combles, entre, et sort des loges, des baignoires, escaladant les balcons tel Scaramouche dans la scène finale du duel ...

Six ou plutôt sept pièces avec la dernière From (sur un simplicissime riff de guitare, souvenir de l’adolescence métalleuse de Paul Jarret) soit plus d’une heure de musique mouvante, ondulante dans un certain statisme, atmosphérique. On se faisait déjà une petite idée de ce que l’on allait entendre, de l’acoustique en grand format avec quatorze instrumentistes,  pointures de la jeune scène hexagonale. Une gageure à notre époque que seul un festival de l’envergure de Djazz Nevers dans sa trente huitième année peut s’autoriser. Mais on est assez loin du compte à l’écoute de ce big band qui assurément ne ressemble à rien d’autre. " Gonflé " dira d'ailleurs Didier Levallet, l'oeil amusé et il s'y connaît en matière d'orchestre. 

Dès le titre du premier morceau ”In G”, introduit par l'altiste Mathilde Vrech, puis repris par groupe d'instruments, on pense à Terry Riley, La Monte Young, plus encore que Philip Glass; on est sur la piste des Mohawks, ces minimalistes américains à la limite de la suspension dans la recherche du son et du souffle (Scelsi), dans l'intime de la perception. Certains y entendent Ligeti. Peu de solos ou alors très courts, réduits, fondus dans la masse sonore d' un ensemble qui bouge, en perpétuel décalage oreille. 

Une certaine douceur immobilisante semble au rendez-vous :  une fréquentation attentive du travail de Paul Jarret  montre que le guitariste aime étirer le temps en filaments d’une mémoire perturbée, disruptive avec des tempos enveloppants et invariants. Ceci en étroite connexion  avec le concept  de Puissance de la douceur de son trio Sweet Dog ( groupe né en 2015 dont un nouvel opus sort d’ailleurs ce vendredi Sweet dog on the moon).

Le public n’est pas disposé autour du groupe comme à l’Atelier du Plateau, il y a plus d’un an déjà mais il n’en demeure pas moins au coeur du son. Du troisième balcon, la vue plongeante est formidable et le dispositif scénique joue le rapprochement, l’intimité des musicien(ne)s, enfermés dans un cercle blanc de lumières. Avec les projos du fond, qui ce midi figuraient des casques de salon de coiffure et à présent se transforment en une série Dark Vadorienne, on retient son souffle dès ces Oscillations jouant de micro-déplacements de hauteurs, de variations dans les intensités, de  jeux subtils de timbres, associés ou isolés, avec beaucoup de notes seules, tenues en unisson.

L’instrumentarium sans rythmique mais avec une guitare électrique que Paul Jarret manipule parfois avec un archet, permet des combinaisons intéressantes  avec une forte proportion d’instruments  medium ou graves, en pupitres élégamment disposés, un tableau d’orchestre contemporain en écho au symphonique de Dufy... 

On repère un quartet de chambre aux timbres étagés dont un Nyckelharpa très insolite, instrument traditionnel suédois, à cordes frottées, de la région d’Uppland, hybride de clavier et de violon à quatre cordes dont le son fait penser à celui d’une vièle à roue. Clin d’oeil à la recherche musicologique d'un des albums précédents Emma (sa grand-mère) qui illustrait chants et récits  comme La Saga des Emigrants de Vilhelm Moberg. On remarque  les interactions des cuivres et des bois, une large palette d’instruments qui évoluent simultanément, en parallèle ou en alternance plutôt par juxtaposition de couches instrumentales que par empilement selon le tempo, la tonalité, le timbre, la dynamique...

Un ensemble d’une continuité conceptuelle intéressante qui tente l'achèvement, la clôture,  une certaine complétude... circulaire.  ALE nous entraîne, voyageur immobile  vers un ailleurs indécis, à l’écoute d'une musique difficile à qualifier de prime abord qui n’hésite pas à unir bruitisme à un ambient plus planant. Mais on retrouve aussi des musiques religieuses avec un harmonium, des formes de canon (Hymn, Anthem sont des compositions plus mélodiques). Dans Fa et Do dièse mineur, Paul Jarret introduit un vieux magnétophone à cassettes pour indiquer un signal métronomique et répartit les musiciens en deux groupes autour de la note Fa et autour de Do dièse. Des clusters dans un cheminement harmonique soulignent des reliefs et climats dépouillés, tout un monde floconneux de perceptions.

De nuages qui passent, il en est aussi question dans Moln, l'avant-dernier titre, désignés du doigt par le violoncelliste Bruno Ducret, puis on replonge dans un brouillard de son dans lequel on demeure en immersion.

Une vision toute personnelle, actuelle, ouverte, démonstrative mais plutôt convaincante.

 

Sophie Chambon

 

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