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17 novembre 2024 7 17 /11 /novembre /2024 08:44
DJazz Nevers 38    Dernier Tango Ducret Monniot   Trio Dominique Pifarély

 

 

Vendredi 15 Novembre,  ma quatrième journée

Duo Ducret Monniot 

La Maison, 12h 30

 

 

On les attendait avec impatience ces deux maîtres de l’improvisation et une fois encore, on se laisse prendre… tout comme le public, conquis d’avance. Un titre qui tease évidemment...Vont-ils nous danser un tango à Nevers? Ils en sont bien capables….

 

A l’ouverture, Christophe Monniot sort son baryton, plus de cinq kilos pour seulement 2,5 cm d’anches ce qui classe l'engin dans les bois et il attaque en douceur avec ce moelleux qu’il sait imprimer à un phrasé voluptueux. Recomposer à partir de motifs déjà joués, retravailler des anciennes compos comme Yes, Igor, donner une nouvelle couleur à ses propres fragments, les réécrire en fonction de l’autre, ils savent faire tous les deux. Voilà l’essence même de la musique qui se joue à l’instant, qui advient là devant nous. Ducret comme Monniot commentent leurs compositions respectives alternées dans ce programme humoristique et joyeux, bon enfant dans la présentation, sérieux, tenu et dense dans le rendu musical. Les indications sont bienvenues, voire attendues pour entrer dans cette musique mouvante, composée d’ éléments plus stables à reconnaître avec une longue pratique.  A la manière de Perec qui disait lire et relire toujours les mêmes livres, se nourrissant des enrichissements successifs, une intertextualité en quelque sorte, une histoire métaromanesque …

Ils savent à merveille relancer, redistribuer le jeu, s’emparant de la formidable énergie que le partenaire renvoie. Ducret a une profonde admiration pour Monniot et ça se voit. Il renoue  avec un «vrai» jeu de guitare, nous donnant l’occasion de l’entendre dérouler de plus longues phrases. Prenant à contre pied la tendance actuelle au minimalisme qui peut transformer les musiciens en scieurs de long, il est sciemment à rebours ( il a lu Huysmans pour sûr). Dès le deuxième morceau, le climat change, ça joue “velu”, Monniot déclenchant une série de déflagrations, secousses, salves d’artillerie lourde auxquelles répond une guitare “métal”. Ce qui n’exclut pas des changements de rythme au sein de la même composition, des accès de douceur brute, des ralentissements ouatés. C’est en fin de compte un concert rock and roll que ce dernier tango… dont le titre provient d’une commande sur le thème les Films de ma vie, une variation sur la musique du saxophoniste Gato Barbieri pour le film de Bertolucci. Qui a donné au guitariste à l’époque un sacré sentiment de “frustration” dit-il en mimiquant le thème ( pas si gnan gnan au passage) que Monniot au sopranino reprend à son tour, bruitant de son côté, se déhanchant et se déboîtant presque le col à force de nous la jouer charmeur. Pourtant il n'est pas vraiment reptilien, plutôt dans le brame ou le mugissement.

Pour une composition qui se voulait chanson plus ou moins pop, en fin de compte la chanson est devenue Chant Son (!) à l’alto pour Monniot qui montre l’étendue de sa palette de jeu sur quasi tous les sax, chatoyant dans les timbres.Tous deux  jouent de concert, cascadant les notes.

Marc Ducret qui a vraiment tout écouté et longuement écouté, ne suit pas le phrasé des guitaristes, surtout des guitar heroes ( il en est un pourtant), il phrase sec et percussif, batteur sur sa caisse de résonance. Il est toujours impérial à peu de frais et d’effets, il lui suffit de “triturer" son jack ( grand gimmick de son répertoire que j’attends toujours) pour sonner original, ponctuer le discours du complice qui se tord de son côté ou fait mine de valser, tout alangui. Il peut attendre un peu, se balance au bord du vide avant de s’y jeter avec son alto.

Une écriture plus difficile à saisir d’ordinaire, avec intrigue et suspens qui, en ce jour et à cette heure est immédiate. Mais quand on aime...

 

 

 

Dominique Pifarély Trio

Théâtre, 18h.30

 

Le violoniste Dominique Pifarély poursuit son travail d’écriture dans un trio européen avec le contrebassiste zürichois Heiri Känzig (remarqué dans le réjouissant Helvéticus avec Humair et Blaser) et le batteur Portugais Mario Costa qui a beaucoup tourné avec Emile Parisien. Ce trio bouscule sans la bouleverser la forme traditionnelle piano-basse-batterie. Configuration troublante mais pas inédite car le violoniste a joué en trio par le passé avec Martial Solal et Patrice Caratini (sans trace discographique hélas) et un peu plus récemment avec Sclavis et Courtois qui sont des compagnons de route.

Ce musicien beaucoup trop rare, il faut dire que je l’ai découvert au mitan des années quatre vingt dix avec son Acoustic Quartet au Théâtre Jean le Bleu de Manosque avec Ducret, Chevillon, Sclavis. Et ce fut une révélation, une porte d’entrée dans les musiques libres alors que le violoniste venait tout de même du jazz et du swing.

Un musicien assurément passionné qui fait friser ce soir la corde de l’archet dans des récurrences particulièrement stridentes. Abstrait dans son écriture travaillée au cordeau, il sait retrouver une certaine histoire du violon et il me semble apercevoir tout un réseau graphique de traits plus ou moins ajustés dans un tracé provisoire, un rien frénétique, voire bruitiste.

Comment suivre sa pensée, les idées surgies dans le brasier de l’improvisation? L’écriture est là, précise, on la sent qui affleure, le batteur  sait la suivre et tout en martelant continu et dru, il retrouve le violoniste régulièrement aux points de rendez-vous attendus.

Travail d’un ascète- pas sûr qu'il aimerait le terme, mais j’aimerais que sa musique fasse plus sens ce soir après l’éblouissement ressenti dans les Dédales de sa Time Geography. “Cette musique ardente dans ses commencements, souvent nerveuse, entraîne au delà de la sensibilité et du lyrisme, sans produire une excitation violente, tant on la sent contrôlée, presque mesurée dans ses dérèglements” avais je écrit. C’est encore vrai aujourd’hui mais son jeu fiévreux, emporté, sous tension peut ébouriffer par sa radicalité et le son acide du violon.

On entre ou pas dans la musique de Dominique Pifarély qui nous entraîne dans sa langue, son univers, sa manière de construire les événements. On embarque à bord de son train fou qui ne réduira jamais l’allure, une ligne à très grande vitesse qui se moque des obstacles, les percuterait presque, plus dans l’énergie des grooves et des séquences d’improvisation libre que dans une approche chambriste avec ce trio. Et ce. en dépit de dialogues avec la contrebasse et la batterie car Mario Costa peut favoriser l’échange par son timbre et son placement rythmique. Pifarély laisse d’ailleurs la paire rythmique improviser et chacun se fait soliste à un moment donné, puisqu’ il leur a laissé généreusement la main.

S'impose un moment fort avec la composition du Peuple effacé ( la seule annoncée) qui me redirige vers la lumière avec une délicatesse sensible au plus fort des éclats. Puis survient le final au tempo soudain ralenti qui procure apaisement et plaisir dans une certaine puissance de la douceur. Le son même du violon est charnu, rond. Ce n’est pas un standard (je n’y songe pas un instant) mais mon voisin qui est allé se livrer à son travail de journaliste sérieux rapportera la réponse. C’est une version très personnelle de The first time ever I saw your face, chanson du poète britannique et chanteur engagé à la grande époque, Ewan MacColl ( auteur de la rengaine folk Dirty Old Town tant de fois reprise, que je chantonne quand j’ai une envie de celtitude). C’est Roberta Flack qui rendit la chanson célèbre et le finaud Clint Eastwood l’utilisa dans son premier film en 1971 même si on en retient surtout la ballade d’Errol Garner Misty qui inspira le titre original Play misty for me.

(A suivre)

Sophie Chambon

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