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13 novembre 2024 3 13 /11 /novembre /2024 17:01
Djazz Nevers 38              Sophia Domancich Trio    Wishes

 

 

 

Mardi 12 Novembre

Sophia Domancich Trio       Wishes

Théâtre municipal de Nevers, 21heures.

 

 

 

 

Arrivée in extremis pour le concert de 21heures au théâtre de Nevers  après une journée éprouvante de train, de route, de retards et de bouchons.

Sophia Domancich revient avec une nouvelle actualité “Wishes”, pas encore discographique, mais ça ne saurait tarder-elle est prévue bientôt au Studio Sextant, sur un répertoire original qui n’a d’ailleurs pas encore de véritables titres. Soit six wishes ou des “souhaits” qui se ressemblent sans se dupliquer bien que le concert soit sous le signe de la répétition, quelques mesures répétées avec des décalages de plus en plus nets, jusqu’à l’évanouissement, l’effacement .

Mais après la création au Sunset la semaine dernière, le passage à Strasbourg à Jazzdor il y a deux jours, voilà le troisième concert à Nevers. Et c'est peu dire qu'elle nous fait plaisir, Sophia car pour son retour avec un nouveau trio, c’est un coup réussi. La pianiste fait advenir avec ce nouveau groupe ce qui semblait oublié : un "classique"en jazz de la formule piano-basse-batterie qui reprend autrement un chemin balisé en y découvrant des paysages originaux. Sans doute faut-il savoir s’entourer : voilà trois musiciens qui n’ont pas souvent travaillé ensemble et pourtant on a l’impression qu’ils se connaissent depuis toujours tant l’alchimie est immédiate. Soutenue, encouragée, stimulée par une paire rythmique exceptionnelle dans la précision et la créativité, Sophia Domancich a pu s'abandonner à ce qu'elle sait faire de mieux, une improvisation déroutante autant qu'envoûtante . 

Un équilibre atteint puisque la pianiste et le contrebassiste Mark Helias ont apporté chacun trois compositions au groupe sans compter le rappel, évocation des plus ornettiennes. Sans révolutionner l'art du trio, ils créent ce qu'on n'a plus souvent l'occasion d'entendre, une musique improvisée très sérieusement pensée. Avec- ce n’est pas le moindre de leurs  paradoxes, une structure très calculée dans la déstructuration même puisqu’on ne s’installe jamais dans la mélodie qui n’a jamais été le souci premier de Sophia. A l'exception peut être de la cinquième pièce, justement plus directement accessible qui sonnerait bien comme un standard. Serait-ce Seagulls from Kristiansund qu'elle a souvent repris, une composition de Mal Waldron, pianiste de l’épure qui savait créer une véritable fascination par d’abondantes répétitions tout à fait compulsives? J’aimerais le croire car avec Sophia les citations reviennent du plus loin de la mémoire ou de l’inconscient. Sub-conscious Sophia ?

Tous trois ont démarré bille en tête, la rythmique vite orientée par Sophia qui lance une phrase  vite hypnotique, simple dans sa reprise même, cadencée. Le deuxième évoque un jazz de chambre initié par le contrebassiste qui, à l’archet trace des sombres profonds. La musique se déguste délicatement, le piano de Sophia fait retour à Monk dans la troisième pièce,  ça swingue enfin avec un motif qui circule nerveusement tout au long de la pièce  avec des altérations, emprunté à Well We Needn’t,  vite abandonné pour avancer,  aller  se perdre dans une séquence plus labyrinthique. Sophia Domancich a trouvé des couleurs et des élans nouveaux avec le drumming subtil et sensuel d' Eric McPherson, le boisé rondement énergique, ferme et chantant de Mark Helias. Son solo sophistiqué, à la chorégraphie déliée est une élégante démonstration de l’art de jouer de la contrebasse .

 

Les réminiscences de Monk ne sont pas les seuls retours à l'histoire du jazz de ce  trio ouvert, cérébral et organique qui ne s’installe jamais très longtemps dans un thème, se plaît à fragmenter à loisir, découper à plaisir, ménager des suspens avant de réattaquer de plus belle. Chacun s’écoute attentivement, l’interplay fonctionne de façon exemplaire :  le contrebassiste prend la main avec  fermeté quand ce sont ses compositions, le batteur s’ajuste à l’ensemble avec beaucoup de spontanéité et toujours le geste juste, fournissant du "sur mesure" dans cette recherche du son le plus adéquat, de la ponctuation la plus fine pour orner cette broderie sonore. Son jeu  délicat repose entre autre sur un usage expert des baguettes qu’il fait sonner sur caisse claire, grosse caisse, cymbales avec une facilité déconcertante  à s’accommoder des discontinuités évidentes de la pianiste.

 

 

Parfois elle s’interrompt, heureuse, pour les regarder jouer tous les deux sentant que leur chant suffit à l’équilibre; mais quand elle revient dans le jeu, elle s’abandonne alors  librement à ses propres impulsions, entretenant la surprise par des changements abrupts de rythme, des interruptions ou des reprises abondamment répétées.
Ses complices l'accompagnent, habillent parfois en fond sonore, répondent aux vides, soulignent les lignes de force de leur partenaire. On se sent transporté, capable de goûter les nuances de leur musique, de suivre une poétique du jazz portée à un rare degré d’intelligence de jeu. Si les rôles sont assez finement répartis, on ne pourra pas dire qu’il s’agit d’une pianiste accompagnée d’une paire rythmique mais de solistes construisant de pair leur interprétation.

 

Tout est soigneusement conçu et exécuté même si tout n’est pas véritablement écrit, me dira en substance le contrebassiste qui, avec une pirouette évoque une musique poétique, joyeuse et pourtant politique. C’est le sens actuel à peine caché de ces Wishes.

 

 

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